
Du tueur de Nice à celui d’Ansbac (Allemagne), plusieurs auteurs d'attentats récents auraient souffert de troubles psychiatriques. Ces actes ne sont pourtant pas à mettre sur le compte de la folie pour le psychiatre Samuel Leistedt.
Mohamed Lahouaiej Bouhlel, le tueur de Nice, présentait un profil ultra violent, et souffrait de "crises" au cours desquelles il "cassait tout", a expliqué son père dans différents médias. L’adolescent de 18 ans qui a assassiné 9 personnes à Munich le 22 juillet avait reçu un suivi psychiatrique, tout comme le réfugié syrien qui s’est fait exploser deux jours plus tard à l’entrée d’un festival de musique à Ansbach, en Allemagne, faisant 15 blessés. Ces passages à l’acte à visée meurtrière terrifient et sont parfois mis sur le compte d’un grave déséquilibre mental. Une analyse qui n’est pas forcément pertinente selon le docteur Samuel Leistedt, psychiatre et professeur en psychiatrie à l'Université libre de Bruxelles, à l'université de Mons et aux États-Unis, expert auprès des tribunaux, qui a beaucoup travaillé sur le terrorisme.
France 24 : Y-a-t-il un lien entre passage à l’acte terroriste et pathologie psychiatrique ?
Il est fondamental de comprendre que le terroriste n’est pas un malade au sens psychiatrique du terme, dans le sens où la littérature scientifique l’entend. On ne trouve pas de trace de véritable maladie mentale chez ceux qu’on a pu étudier, même si on peut trouver des traits de personnalité très narcissiques, paranoïaques, cela ne suffit pas pour relever de la pathologie.
Cela posé, on peut faire une vraie distinction entre le terrorisme proprement dit et ce qu’on appelle dans notre jargon psychiatrique le "pseudo commando". Ce sont deux entités complètement différentes, mais elles peuvent se manifester par des attaques, des tueries de masse similaires, que ce soit avec des armes de type explosifs, des armes blanche ou de guerre.
On parle de pseudo-commando parce que, contrairement aux terroristes des derniers attentats jihadistes, qui se sont préparés, souvent en Syrie ou en Irak pour apprendre à manier des armes, le pseudo commando agit sans grande préparation et seul. Il va se munir d’armes mais ne s’est pas forcément préparé physiquement, ça n’est pas un guerrier.
Le pseudo commando peut, lui, présenter des troubles de la personnalité graves, avec des penchants narcissiques et paranoïaques. Ce sont des personnes qui souvent se suppriment avant d’être attrapées. L’exemple de ce genre de profil, c’est Nordine Amrani, le tueur de Liège, auteur d’un massacre qui avait fait cinq morts en décembre 2011. (Seul et surarmé, il avait tué cinq personnes dont un bébé, et en a blessé plus de 121 avant de se donner la mort, NDLR). Le norvégien Anders Behring Breivik, qui avait assassiné 77 personnes en juillet 2011, pourrait être classé dans cette catégorie car bien qu’affilié à une idéologie politique d’extrême droite, il a commis son acte seul. La question de l’internement s’est d’ailleurs posée à un moment donné. C’était, là encore, une personnalité très narcissique.
Qu’en est-il du profil du tueur de Nice ?
On ne peut pas affirmer qu’il appartient à la catégorie du pseudo-commando car il était apparemment en lien avec l’organisation de l’État islamique (EI), bien qu’il n’ait pas voyagé en Syrie ou en Irak. Par ailleurs, il semble qu’il y ait eu une longue préparation en amont.
La différence entre la catégorie pseudo-commando et le terroriste, c’est que le terroriste fonctionne en réseau. Les pseudo-commandos sont isolés, voire esseulés. Souvent, un élément déclencheur provoque leur geste, divorce, perte d’un emploi... Personne n’est mis au courant de leur projet, ils se fournissent seuls les armes. Le pseudo-commando, c’est un acte isolé et ponctuel. Le terroriste fonctionne en réseau.
D’après les premiers éléments de l’enquête, le tueur de Nice paraissait psychologiquement très instable…
C’est une exception. Généralement, les terroristes n’ont pas ce genre de profil. La dépression, le mal-être ne sont pas la règle. Peu possèdent des traits de troubles psychiatriques. Dans différents médias, cet homme a été qualifié de psychopathe. C’est une analyse erronée. Pour l’instant, ce n’est pas ce qui ressort. La psychopathie relève d’un diagnostic précis. Un psychopathe ne réagit pas du tout comme le tueur de Nice, un psychopathe ne se fait pas prendre, pas tuer, ne se fait pas exploser.
Le Syrien qui s’est fait exploser dimanche 24 juillet à Ansbach, en Allemagne, avait lui fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique. Des personnalités fragiles constituent-elles un vivier de recrutement pour l’EI, en quête de candidats au terrorisme ?
En Europe, le recrutement de Daech [EI, NDLR] se fait sur un terreau fertile de gens desinsérés professionnellement, socialement et familialement fragilisés que l’on peut notamment trouver parmi les migrants. Ils constituent des cibles pour Daech qui cherche à utiliser ces gens-là comme des bombes ambulantes.
Quels signaux doivent mettre en alerte ?
C’est très compliqué les signaux d’alarme. Oui il y en a, mais comment voulez-vous intervenir dans le cadre de la loi sur quelqu’un qui n’a pas commis de délit. Il existe des comportements dangereux mais il est très compliqué d’intervenir en amont. Comment distinguer ceux qui vont passer à l’acte ?
Pour ma part, je travaille dans le cadre de cellules de recherches et d’études sur les attentats commis sur les sols belges et français, pour mieux comprendre et prévenir. Il est important de comprendre face à quelle catégorie de tueur on se trouve, car dans le cadre de l’enquête, la manière de soutirer des informations varie selon les profils. Par ailleurs, cela a son importance au tribunal, au moment de juger le criminel.