Les autorités américaines veulent geler un milliard de dollars d’actifs liés à un immense scandale financier impliquant des proches du pouvoir en Malaisie. Washington vise notamment le studio de production du film "Le Loup de Wall Street".
Les bénéfices du film "Le Loup de Wall Street", des hôtels et manoirs de luxe, des peintures de maître... Telles sont quelques unes des cibles d'une action judiciaire sans précédent visant à geler des actifs dans le cadre d'une enquête américaine sur un mega-scandale financier impliquant des proches du Premier ministre malaisien Najib Razak.
Washington a annoncé, mercredi 20 juillet, son intention de geler en tout un milliard de dollars d'actifs liés à un scandale d'escroquerie et de détournement d'argent impliquant le fonds souverain (fond appartenant à un État) malaisien 1Malaysia Development Berhad (1MDB). L’action américaine vise notamment l’hôtel L’Ermitage de Los Angeles, le studio de production Red Granite Picture (producteur du "Loup de Wall Street"), un manoir dans la tour Time Warner de New York, un jet privé ou encore des peintures de Claude Monet et Vincent Van Gogh. Autant d’acquisitions qui auraient été effectuées avec de l’argent à l’origine douteuse, aux dire des enquêteurs.
L’acte d’accusation de 135 pages décrit en effet comment une poignée de personnes, proches du Premier ministre malaisien, ont mis en place un système pour détourner les fonds d’1MDB dès sa création en 2009. "Nous cherchons à récupérer des sommes qui étaient censées aider les Malaisiens et l’économie locale et qui ont été volées et blanchies à travers des institutions financières américaines pour le profit de quelques officiels et de leur entourage", a commenté Loretta Lynch, la procureur général des États-Unis.
Ces fonds dans le viseur de Washington ne seraient qu’une goutte d’eau dans cet océan d’argent détourné. En tout, les différentes autorités impliquées – suisses, luxembourgeoise et singapouriennes – estiment que six des 13 milliards de dollars levés par 1Malaysia Development Berhad se sont évaporés dans la nature.
Train de vie dispendieux
L’enquête américaine a permis de démêler le complexe montage financier utilisé pour délester l’1MDB de près de la moitié de ses fonds. Les responsables du fonds souverain empruntaient à long terme de l’argent à Goldman Sachs pour des projets de développement économiques, et détournaient ensuite les sommes vers des comptes dans divers paradis fiscaux. Ainsi, selon l’acte d’accusation, 1MDB a établi un partenariat avec une entreprise saoudienne pour investir un milliard de dollars au Turkménistan et en Argentine, mais 700 millions de dollars de cette enveloppe ont été déposés sur un compte en Suisse géré par une société écran qui appartenait à une autre société écran.
Tout cet argent n’a pas seulement servi à investir dans l’art, la pierre et le cinéma américain. Il a aussi permis de financer le train de vie dispendieux des "co-conspirateurs", ont constaté les enquêteurs. Par exemple, en moins de huit mois, entre fin 2009 et début 2010, près de 85 millions de dollars ont été notamment dépensés dans différents casinos de Las Vegas, ont permis de payer des stars du show-biz pour participer à des fêtes, ont servi à louer des jets de luxe et à régler la facture d’un décorateur d’intérieur qui s’élevait à plusieurs millions de dollars.
Le beau-fils du Premier ministre en cause
Qui s’est ainsi enrichi aux dépens de la Malaisie ? La question est sensible pour Washington car ce pays est l’un de ses plus fidèles alliés en Asie. Froisser le pouvoir en place s'avère donc diplomatiquement risqué, rappelle le New York Times. Pour l'heure, trois personnes se trouvent dans le collimateur des enquêteurs. Le financier Jho Low, qui se définit sur son site personnel comme philanthrope et entrepreneur, est celui dont le nom revient le plus souvent dans l’acte d’accusation. Cet habitué des nuits festives new-yorkaises est dépeint comme une sorte de grand architecte du système de détournement d’argent. L'homme n'a aucun rôle officiel au sein d’1MDB mais a participé à sa fondation.
Jho Low est aussi un ami proche de Riza Aziz, le PDG et cofondateur du studio de production Red Granite, mis en cause dans le cadre du financement douteux du film "Le Loup de Wall Street". Mais Riza Aziz, ce banquier reconverti dans le cinéma, n'est autre que... le beau-fils du Premier ministre malaisien Najib Razak. Le troisième homme cité par l’acte d’accusation est émirati. Khadem al-Qubaisi a dirigé jusqu’en 2015 l'International Petroleum Investment Company (IPIC), le puissant fond d’investissement d'Abou Dhabi spécialisé dans le secteur énergétique. Il est soupçonné d’avoir sciemment aidé à détourner des centaines de millions de dollars de l’1MDB. Des accusations dont il a déjà été la cible par le passé et qui ont poussé le cheikh d'Abou Dhabi à lui retirer les rênes de l’IPIC.
Les enquêteurs américains ne s’aventurent pas sur le terrain de l’implication éventuelle du Premier ministre malaisien. Najib Razak a été accusé, notamment par le Wall Street Journal en juin 2015, d’avoir profité financièrement des largesses du fonds d’investissement malaisien, notamment à cause de traces de virements de fortes sommes sur les comptes de l’homme fort de Malaisie.
Une enquête judiciaire malaisienne avait conclu à l’innocence du Premier ministre après cette première affaire mais l’opposition continue aujourd'hui de réclamer sa tête. Les révélations de l’enquête américaine ont mis de l'eau au moulin et ont poussé Mahathir Mohamad, le principal rival de Najib Razak, à appeler à des élections anticipées et à des rassemblements "pacifiques" contre le pouvoir en place. L’entourage de l’actuel dirigeant malaisien a fait savoir qu’il n’y avait pas eu de détournement d’argent et qu’il s’agissait essentiellement d’une mauvaise gestion du fonds d’investissement public. Une gestion qui ne semble pas avoir été si mauvaise pour tout le monde.