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Un Franco-Syrien a déposé plainte contre X auprès du tribunal de grande instance de Paris pour disparition forcée et torture, après la mort de son frère dans une prison près de Damas. La justice française peut-elle faire condamner Assad ? Éclairage.

Pour la première fois en France, une plainte avec constitution de partie civile a été déposée contre X auprès de la justice française, vendredi 8 juillet, par un Franco-Syrien pour qu'une enquête pour torture et assassinat soit ouverte après la mort de son frère, un médecin syrien, dans une prison près de Damas en 2014. "C’est une véritable avancée juridique même si elle reste fragile" a expliqué à France 24 Céline Bardet, juriste spécialiste des crimes de guerre.

Installé de longue date en France, Mustafa Abdul Rahman, qui dispose de la double nationalité franco-syrienne, a décidé de mener ce combat juridique pour savoir dans quelles circonstances son frère Hicham a fini par mourir à l’âge de 37 ans dans une prison du régime syrien vraisemblablement fin 2014. Celui-ci, en tant que médecin, s’était engagé pour l'accès aux soins des blessés lors des premières manifestations contre Bachar al-Assad en 2011, avant d’être arrêté en avril 2012. Détenu dans les centres des services secrets des forces aériennes puis à la prison de Sednaya, proche de Damas, sa famille l'avait vu dans un piteux état en mai 2014.

"Il était tellement méconnaissable qu'ils ne l'ont pas reconnu immédiatement", a raconté l’avocat de Mustapha Abdul Rahman, Me Joseph Breham."En décembre [2014], les services de sécurité ont fait signer à la famille un certificat de décès pour crise cardiaque, comme c'est le cas systématiquement", a ajouté l'avocat.

"Le problème c’est que la saisine de la Cour pénal internationale (CPI) est absolument impossible dans le cas syrien, nous ne pouvons donc compter que sur des décisions émanant de tribunaux nationaux" explique Céline Bardet. En effet, la Syrie n’a jamais signé le statut de Rome qui reconnaît la compétence de la CPI, Bachar al-Assad ne peut donc être convoqué par l'instance internationale que sur saisine du Conseil de sécurité de l’ONU, ce qui semble peu probable étant donné que la Russie, membre du Conseil, est aussi une fidèle alliée de Damas.

"Nous ne sommes pas complètement naïfs"

L’avocat de Mustafa Abdul Rahman admet que le combat juridique sera semé d’embûches mais, a-t-il déclaré à France 24, "ce n’est pas parce que c’est compliqué que c’est impossible". "Nous ne sommes pas complètement naïfs, nous ne nous attendons pas à ce que du jour au lendemain la Syrie reconnaisse une condamnation de Bachar al-Assad". "C’est déjà un miracle d’avoir réussi à déposer cette plainte", estime Me Joseph Breham.

Si le dossier est prêt depuis 6 mois, les avocats français ont attendu un arrêt inédit rendu par la Cour d'appel de Paris le 10 juin dans une autre affaire – franco-marocaine – gérée dans le même cabinet pour se lancer. Cet décision pourrait faire jurisprudence en faveur du cas du frère de Mustafa Abdul Rahman. Il permet de reconnaître que les proches français de victimes de disparitions forcées peuvent être considérés comme victimes directes. "La Cour européenne des droits de l’Homme reconnaît déjà que les proches de victimes de disparition peuvent souffrir d’angoisses et de séquelles psychologiques fortes et donc être recevables à déposer plainte. La France va également en ce sens avec cette décision de justice" se réjouit Me Joseph Breham.

Reste que l’arrêt en question demeure fragile, le parquet ayant décidé de se pourvoir en cassation. Par effet domino, la recevabilité de la plainte de Mustafa Abdul Rahman pourrait en pâtir.

Reconnaître un crime de guerre sans dépendre de la CPI

"Il faut faire évoluer le droit", a déclaré dans le JDD Me Ingrid Metton, qui défend également Mustafa Abdul Rahman aux côtés de Me Breham. Une position partagée par la juriste Céline Bardet qui estime que la France est en retard sur les questions de crimes de guerre. "Il faut qu’on arrive à détacher cette notion de crime de guerre de la CPI" déclare-t-elle. "Ce n’est pas parce qu’un cas ne peut être jugé à La Haye qu’il n’y a pas de crime de guerre", insiste-elle.

Dans le cas des frères Rahman, une condamnation française agirait "comme une épine dans le pied" des actuels dirigeants syriens, d’après l’avocat de Mustafa Abdul Rahman."Si la plainte aboutit, et si Bachar al-Assad est réintégré dans le concert des Nations, il en entendra parler, et souvent ! À chaque déplacement en France ou dans un pays qui a signé des accords avec la France". En revanche, protégé par son immunité diplomatique, le président syrien ne risquera pas d’être arrêté.

La diplomatie dans l’embarras

Côté diplomatique, "cette plainte imposera aux politiques d'assumer leur choix :  celui de réintégrer un assassin au motif que Daech, c'est pire", explique Joseph Breham. "L’ouverture d’une instruction judiciaire, sans même parler de condamnation, placerait la diplomatie française dans une position embarrassante", selon Céline Bardet. D’autant que d’autres dossiers de victimes françaises collatérales sont dans les tiroirs des cabinets d’avocats français, selon elle.

En septembre 2015, la justice française avait examiné une autre affaire de crime de guerre en Syrie : une enquête préliminaire pour crimes contre l'humanité avait été ouverte à partir du témoignage d'un ancien photographe de la police militaire après un signalement du Quai d'Orsay. Le dossier s’appuyait alors sur les pièces apportées par ce photographe au pseudonyme de "Cesar", qui s'était enfui de Syrie en 2013, en emportant 55 000 photographies effroyables de corps torturés.

Dans cette affaire au fort impact médiatique, les photographies sont toujours en cours d’identification pour savoir si elles concernent d’éventuelles victimes françaises, cela risque d’être long, laborieux et pourrait ne jamais aboutir sur une plainte française. Pour Céline Bardet, le cas du frère de Mustafa Abdul Rahman a davantage de chance d’aboutir car il est "moins politique" et "plus construit juridiquement".