Impressionnant lors de cet Euro-2016, Antoine Griezmann est devenu le pilier des Bleus et le chouchou du public hexagonal. Portrait d’un jeune mâconnais terriblement attachant et imperméable aux aléas de la starification.
"Mais qu’est-ce que c’est que cette danse ridicule !", a lancé, vendredi 8 juillet, une collègue anglophone de France 24, découvrant sur les réseaux sociaux le petit rituel chorégraphié d’Antoine Griezmann pendant l’Euro-2016. À chaque but marqué par le meneur de jeu de l’équipe de France, l’attaquant laisse en effet exploser sa joie en exécutant un sibyllin pas de danse, pouces levés, auriculaires tendus et grand sourire aux lèvres. En dépit du statut de demi-dieu qui auréole aujourd’hui la tête de Griezmann, auteur d’un doublé face à l’Allemagne en demi-finale, force est de reconnaître que la danse, ce n’est pas son truc.
Et quand on sait que la chorégraphie en question s’inspire du rappeur canadien Drake dans son clip "Hotline Bling", on est tentés de sourire. Mais qu’importe la cocasserie du geste, elle accentue la singularité du joueur. Car Griezmann ne ressemble pas vraiment à l’idée qu’on se fait d’un footballeur. Il est petit, plutôt frêle, discret. Dans la presse, on le dépeint comme un garçon modeste, charmant, et souriant. Le gendre idéal, en somme. "On ne dirait pas vraiment un footballeur, plutôt un petit chanteur à la Croix de Bois", affirme la mère d’une supportrice des Bleus. On ne pourrait pas dire mieux.
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Un pied salvateur
Mais sous ce doux visage "d’étudiant bien coiffé sorti tout droit du Cercle des poètes disparus" (tel que le décrit une autre collègue), se cache un talon fou. Un pied salvateur qui porte aujourd’hui les espoirs de tout un pays pour la finale de l'Euro contre le Portugal, dimanche. Un pied auteur d’un but contre l’Irlande en huitième de finale (et d’une tête trois minutes plus tôt), d’un autre but contre l’Islande en quart de finale et d’un doublé en demi face à la Mannschaft. Un pied, baisé par Dimitri Payet, qui vaut donc à son propriétaire tous les superlatifs. Pour les uns, il est déjà "Zinédine Griezmann" ou "Supergriezmann". Pour les autres, il est le "patron", le "génie". La presse parle d’une "génération Griezmann". Sur Twitter, le hashtag #GriezmannPresident a même fait son apparition.
Le jeune prodige n’a pas toujours eu droit à tous ces lauriers. Au contraire. Né en 1991, à Mâcon, en Saône-et-Loire, le jeune Antoine développe très tôt une passion pour le football. À 5 ans, il court déjà derrière un ballon sur les terrains de l’Union football mâconnais. "Il n'avait pas l'âge requis de 6 ans. Il ne pouvait que s'entraîner mais sans participer aux plateaux [tournois]", se souvient Patrick Montero, ancien responsable de la commission des jeunes de l'Union du football mâconnais, interrogé par l'AFP.
Adolescent, il sait que le ballon rond sera son avenir. Mais sa pratique au niveau professionnel s’apparente à un chemin de croix. Le jeune Antoine court derrière les centres de formation, à Lyon, son rêve, mais aussi à Montpellier, à Metz… Partout, il trouve porte close. La vision du footballeur idéal d’alors ne correspond pas à sa carrure. Il faut être grand et musclé.
L’initiation espagnole
Si la France ne veut pas de lui, les Espagnols l’accueillent à bras ouvert. Il a 13 ans quand il est repéré lors d’un entraînement par Eric Olhats, recruteur pour la Real Sociedad, le club de Saint-Sébastien, dans le pays basque espagnol. La légende veut que le sélectionneur lui ait glissé son numéro de téléphone dans sa chaussette. Séduit par la proposition, le jeune Antoine quitte Mâcon à 14 ans pour aller s’installer à Bayonne. "Au début, il devait aller à l’internat. Mais il avait une relation fusionnelle avec sa famille et je me suis dit qu’il allait rentrer au bout de trois semaines si on le laissait tout seul. Il est resté six ans chez moi", se souvient Eric Olhats, cité par Le Monde. Il va à l’école en France, et passe la frontière pour s’entraîner.
"C’est le jambon de Bayonne qui lui a donné cette fougue, c’est sûr", explique une autre collègue de France 24, impartiale - et basque. L’adaptation se fait pourtant dans la douleur, il ne parle pas un mot de basque, pas un mot d’espagnol. "Il a toujours voulu être footballeur professionnel. Cela l'a sûrement travaillé de quitter sa famille mais l'envie était trop forte. Bien sûr, nous aurions préféré qu'il reste en France mais, sincèrement, il n'y aurait peut-être pas aussi bien réussi. L'Espagne lui va très bien", se réjouit Patrick Montero, son ancien entraîneur de Mâcon. À 18 ans, il intègre l’équipe du Real Sociedad, à 23 ans il fait son entrée dans la prestigieuse équipe de l’Atletico Madrid. Il devient un pur produit de foot espagnol. Les clubs français doivent s’en mordre les doigts.
Le HavreGate
En sélection nationale, en revanche, le parcours est moins fluide. En 2010, il est sélectionné pour le Championnat d’Europe des moins de 19 ans – remporté par les Bleuets. Mais deux ans plus tard, alors qu’il évolue avec l’équipe de France-Espoirs, Griezmann décide en plein tournoi de faire le mur depuis le Havre pour partir en boîte de nuit à Paris, avec quatre de ses coéquipiers. La Fédération française de football, échaudée par la grève des Bleus à Knysna en 2010, ne lui pardonne pas cet écart de jeunesse. Il est suspendu jusqu’en janvier 2014.
Sa famille, qui n’a jamais cessé d’être présente, l’aide à traverser l’épreuve. Ni rebelle, ni insolent, il accepte la sentence et s’excuse publiquement. "Mon père m’a rappelé que l’image, pour un footballeur, est capitale et que je porte le nom d’une famille que je ne dois pas abîmer", dit-il cité par Le Monde. L’ascension de Griezmann résulte aussi d’une entreprise familiale. Son père, Alain, entraîneur des jeunes dans le club de foot local à Mâcon, a toujours suivi son évolution. Sa sœur Maud, de trois ans son aînée, s’occupe aujourd’hui de sa communication. Cette dernière ne dit pas craindre le mélange travail/famille, dans une interview accordée au New York Times. Son petit frère, Théo, fait lui office de community manager, il s’occupe de la popularité d’Antoine sur Twitter et n’hésite pas à répondre à ses détracteurs.
Après l’épisode orageux du HavreGate, le retour en grâce professionnel du Mâconnais s’effectue grâce à Didier Deschamps qui le sélectionne pour la Coupe du Monde 2014.On connaît la suite. Éliminé par l’Allemagne en quart de finale, Griezmann marque les esprits par son immense déception à la fin du match. Il fond en larmes dans les bras de ses coéquipiers. L’image scelle le début d’une histoire avec le public français qui tombe sous le charme de son désarroi enfantin. Espérons que dimanche, la love-story se poursuive avec des larmes de joie et que, sur la pelouse du Stade de France, Antoine Griezmann esquissera de nombreux pas de danse.