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Rétroprojecteur : l'histoire de l'homosexualité dans les comics

Si elle est aujourd'hui tendance chez les super-héros, l'homosexualité a longtemps été absente (ou vaguement suggérée) dans les comic books Marvel ou DC.

Aujourd'hui, deux super-héros masculins peuvent se marier sans que cela ne choque personne. Mais il n'y a pas si longtemps, les bandes dessinées mettant en scène des personnages LGBT étaient beaucoup plus rares. Ces comics, quasi-clandestins, circulaient sous le manteau et n'étaient pas légion

Jusqu'aux années 1980, le "Big Two" des éditeurs, Marvel et DC Comics, est resté à la ramasse sur le sujet. La faute à la Comics Code Authority qui interdisait la représentation de personnages "contraires aux mœurs".

L'implacable censure de la Comics Code Authority

Si les rumeurs d'homosexualité entre Batman et Robin avaient un point d'origine, ce serait celui-là : "Batman" #84, publié en 1954. Dans une case qui fait grand bruit à l'époque, on voyait Bruce Wayne / Batman se réveiller dans le même lit que son protégé Dick Grayson / Robin.

Facilité de la narration ? Pas du tout, le psychiatre Fredric Wertham dénonce dans son livre, "The seduction of the innocent", "un homo-érotisme récurrent entre Batman et son jeune acolyte Robin" qui "ne peut qu’inciter les enfants à assouvir leurs fantasmes homosexuels". Ce charmant monsieur déclare aussi que Wonder Woman est une lesbienne, seule explication à sa force et à son indépendance.

Pour endiguer la hausse de la délinquance juvénile est donc créée cette année-là la Comics Code Authority (CCA). Cet organisme est chargé de réguler l'industrie du comic-book aux États-Unis en veillant au respect de certaines règles. Parmi lesquelles l'interdiction d'une quelconque mention ou suggestion de l'homosexualité.

Dès lors, les éditeurs ne peuvent que se soumettre s'ils veulent continuer à être vendus. En effet, la plupart des distributeurs refusent de mettre en rayon des revues n'ayant pas reçu le sceau du CCA.  

Les premiers comics LGBT

Comme l'explique ComicsBlog, la résistance s'organise alors dans des publications plus confidentielles, bien aidée par l'émergence du mouvement hippie. De cette époque, citons la parodie de James Bond publiée dans le magazine gay Drum Magazine "The Adventures of Harry Chess: That Man from A.U.N.T.I.E".

En 1962, Steve Dikto (le deuxième papa de Spiderman avec Stan Lee) publie "The Man Who Stepped Out Of A Cloud" où l'on voit un homme emmener un jeune garçon introverti sur une planète uniquement peuplée de mâles. Métaphore ?

L'essor du mouvement féministe au début des années 1970 amène les premiers comics books lesbiens. La dessinatrice Roberta Gregory publie ce qui est considéré comme la première série lesbienne en 1976 : "Dynamite Damsels". Sa consœur Jennifer Camper lance quant à elle "Juicy Mother".

En 1980, ces auteures s'associent pour créer Gay comix. La revue a pour but de promouvoir les artistes gays, lesbiens et transsexuels en publiant des histoires sentimentales plutôt que pornographiques, comme cela se fait tant à l'époque.

L’ouverture timide du "Big Two" dans les années 80

Les premières tentatives d'introduction de personnages LGBT de la part du "Big Two" sont plutôt maladroites. En 1981, dans le numéro 23 de la série "Hulk", Bruce Banner manque de se faire violer par un stéréotype de Noir gay. Gênant…

C'est en 1983 que le mot "gay" est prononcé pour la première fois dans les pages d’un comic book mainstream. C’était dans le numéro #251 des "Quatre Fantastiques" écrit par John Byrneen 1983. Mais ce n'était pas forcément un compliment…

Du côté de DC, on introduit Extraño dans la série "Millenium" en 1987. C'est un super-vilain présentant tous les clichés sur les homosexuels. Jugez plutôt.

Il faut attendre la mini-série "Watchmen" d'Alan Moore pour avoir une représentation un peu plus positive. Publiée entre 1986 et 1987, on y voit plusieurs personnages homosexuels apparaître : Hooded Justice, Captain Metropolis et la Silhouette.

Trois ans plus tard, l’auteur récidive dans une autre mini-série, "V pour Vendetta", où il dénonce les persécutions dont est victime la communauté LGBT. Dans cette dystopie, le personnage de Valérie est emprisonné par un régime totalitaire parce que lesbienne.

Mais c’est avec le personnage de Maggie Sawyer, en 1988, que DC frappe un grand coup. Introduite dans la série "Superman", elle est la première mère lesbienne de l’histoire des comics mainstream. Le personnage sera d’ailleurs récompensé d’un Glaad awards en 1996. Ce prix distingue les œuvres artistiques pour leur participation à la visibilité gay.

Le grand boom des années 90

1989 marque un tournant. La Comics Code Authority met à jour ses normes et donne son blanc-seing aux auteurs pour enfin représenter l'homosexualité de manière positive.

Avec ce changement, les grands éditeurs n’ont plus peur et commencent à introduire des personnages homosexuels dans leurs histoires. Le premier à faire son coming out dans l'univers Marvel est le X-Men Northstar dans le numéro #106 d'"Alpha Flight".  Il n'est pas étonnant que ce soit un membre de ce groupe de super-héros qui sorte le premier du placard, les mutants de Marvel ayant toujours eu comme toile de fond de leurs histoires la haine de la différence, que ce soit l'antisémitisme, le racisme ou l'homophobie.

Chez DC, c'est l’ancien ennemi de Flash, Pied Piper, qui fait son coming out, bientôt suivi l’Ice Maiden de la "Justice League". Mais les couples les plus marquants se retrouvent dans des histoires indépendantes. Vous imaginez Batman et Superman en couple ? Eh bien, c’est exactement ce que propose Warren Ellis dans "The Authority" avec les personnages d’Apollo et Midnighter, des alter egos des deux super héros les plus connus au monde. Ils se marient d'ailleurs en 2002 et adoptent une fille sous la plume de Mark Millar.

L'homophobie devient aussi la source d'inspiration d'histoires sérieuses. Dans les numéros 154 et 155 de de la série "Green Lantern" de DC Comics, le faire-valoir de Kyle Rayner, Terry Berg, se fait violemment agresser. Intitulé "Hate Crime", ces épisodes sont directement inspirés de l'histoire de Matthew Shepard, un étudiant battu à mort en 1998 dans le Colorado.

De nos jours, entre acceptation, coup de buzz facile et polémiques

Si dans les premiers temps, les personnages LGBT sont cantonnés aux seconds rôles, cela va changer au fur et à mesure des années 2000. Chez Marvel, le couple Hulkling et Wiccan est au centre de la série "Young Avengers". 

Chez DC, Renee Montoya, le personnage principal de "Gotham Central", est outée en 2003.

La dernière Batwoman en date est ouvertement lesbienne. Elle est d'ailleurs l'unique personnage LGBT à avoir eu une série régulière dans le "Big Two" ces dernières années. Depuis juin 2016, elle n'est cependant plus seule : une série "Midnighter" l'a rejointe.

DC n'a pas peur de prendre des décisions radicales et frappe un grand coup en 2012 : elle décide de changer l'orientation sexuelle d'un de ses plus vieux protagonistes, Alan Scott, la première personne à avoir endossé le costume de Green Lantern.

Cependant, Marvel n'est pas en reste puisque Northstar célèbre un heureux événement la même année : son mariage avec son coéquipier Kyle Jinadu. Cette union fait grand bruit, jusque dans la presse généraliste.

Tout n'est cependant pas rose du côté des super-héros LGBT. Le coming out des personnages est presque devenu galvaudé, un buzz facile. Ce reproche a notamment été fait lors de la révélation de l'homosexualité d'Iceberg des X-Men. Contexte à base de voyage dans le temps : une version jeune de ce personnage a été amenée dans le présent. Dans un numéro de la série "All-new X-Men", Ie jeune Iceberg est outé comme homosexuel alors même que sa version âgée a toujours été hétérosexuelle durant 50 années de publication. Les fans crient au coup marketing.

Dans certains cas, l'éditeur rétropédale carrément sur la sexualité des personnages. Marvel, après plusieurs années passées à établir le personnage d'Hercules comme bisexuel, a affirmé qu'il avait toujours été hétérosexuel. Certains fans se moquent de la décision parodiant l'outing d'Iceberg.

Enfin, à Hollywood, la mode est aux super-héros. L'univers Marvel a récemment sorti le 13 e  film de sa franchise mais pourtant toujours pas l'ombre d'un personnage LGBT. Le cinéma semble donc la nouvelle frontière pour les héros gays et lesbiens. À défaut, les fans se plaisent à imaginer Captain America dans les bras de son ami d'enfance, Bucky Barnes. La campagne a même un hashtag militant sur Twitter : #givecaptainamericaaboyfriend.

#GiveCaptainAmericaABoyfriend b/c he and Bucky are each other's concept of home. Always have been, always will be. pic.twitter.com/nc3w32kH84

— cassidy (@dxnnyrogers) 24 mai 2016

Boyfriends goals #GiveCaptainAmericaABoyfriend pic.twitter.com/RrnvMrXULu

— Winter Captain (@Addicted_to_MJ) 24 mai 2016

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