
Le pirate informatique “Phineas Fisher” a versé, à des habitants du Rojava, 10 000 euros dérobés à une banque pour soutenir leur projet de région autonome kurde en Syrie. Le hacker affirme vouloir promouvoir "un projet révolutionnaire" de société.
Quand un pirate informatique à succès se transforme en Robin des bois de la cause kurde. Le hacker qui se fait appeler “Phineas Fisher” ou “Hack Back!” s’est fait connaître grâce au piratage, en juillet 2015, de la controversée société italienne Hacking Team, spécialisée dans la vente de logiciels espions et de surveillance aux forces de l’ordre. Dorénavant, il met ses talents informatiques au service du Rojava ou “Kurdistan syrien”, une région sous contrôle Kurde dans le nord de la Syrie, en guerre contre le groupe terroriste État islamique (EI) et qui doit, simultanément affronter l’hostilité de la Turquie.
“Phineas Fisher” a versé, début mai, l’équivalent en bitcoin de 10 000 euros à la campagne de financement participatif “Feed the revolution” organisée par des habitants du Rojava pour développer l’agriculture et devenir plus autonome économiquement. Le pirate informatique a revêtu les habits d’un Robin des bois moderne pour l’occasion, affirmant qu’il avait dérobé cet argent à une banque. Il a refusé de révéler l’identité de l’établissement financier attaqué, car il espère pouvoir encore siphonner davantage de fonds pour “la cause”.
“Projet révolutionnaire”
Contacté par le site Ars Technica, les organisateurs kurdes de la campagne de crowdfunding ont confirmé avoir reçu un versement de 10 000 euros en bitcoin de la part d’un dénommé “Hack Back!”. Une somme qui correspond à un peu moins d’un dixième de leur objectif de 180 000 euros à lever d’ici à fin mai pour acheter, notamment, deux camions, un petit bulldozer et un hangar.
Pour “Phineas Phisher”, il s’agit de bien plus que du matériel agricole. Il espère bien avec ces attirer l’attention sur “l’un des projets révolutionnaires les plus ambitieux au monde”.
"Rojava est l'un des projets révolutionnaires les plus inspirant au moment. Je viens de donner 10 000 euros."
Car si le Rojava apparaît surtout dans les médias pour sa féroce résistance à l’avancée des militants de l’EI, c’est aussi une région qui a mis en place un projet de société original depuis l'auto-procalamation de son indépendance en 2013. Les Kurdes assurent y vivre selon les principes de la démocratie directe, dans une société égalitariste, ouverte à toutes les religions et ethnies et sans gouvernement central.
Arrière-cour de l’EI
Dans les faits, “ils sont réellement en train de réinventer une forme de démocratie, fondée sur la prise de décision en communauté, à laquelle ils croient vraiment”, raconte à France 24 Robert Kluijver, un analyste politique néerlandais qui s’est rendu sur place en octobre 2015. Il n’est pas le seul à avoir été impressionné par cette expérience démocratique à grande échelle : Le New York Times lui a consacré un long reportage en novembre 2015. Le célèbre quotidien y voit “le rêve d’une utopie séculaire dans l’arrière-cour de l’EI” où les hommes et les femmes ont les mêmes tâches, en tant que combattant contre l’EI ou responsable communautaire. Il raconte aussi comment des jeunes suivent un enseignement où la liberté d’expression est érigée en valeur fondamentale.
Pour Robert Kluijver, le projet Rojava fait écho à l’idéal des kibboutz, ces villages collectivistes en Israël où toutes les décisions doivent être prises à l’unanimité et qui récusent la notion de propriété privée. “Le Rojava est formé de communautés dirigées en commun par un homme et une femme qui cherchent à trouver un consensus sur chaque sujet”, explique-t-il.
Accablé par Amnesty International
Leur société se veut aussi ouverte à toutes les éthnies ou confessions. “J’y ai rencontré des chrétiens et des arabes sunnites”, souligne-t-il. Il reconnaît, cependant, que c’est un projet avant tout kurde. C’est leur territoire, et ils essaient d’y appliquer les préceptes politiques d’Abdullah Öcalan, le fondateur du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
C’est là que le bât commence à blesser. Ankara considère que le PKK est une formation terroriste et Abdullah Öcalan purge une peine de prison à vie en Turquie (pour “trahison et tentative de diviser le pays”). Le PKK est aussi sur la liste des organisations terroristes des États-Unis et de l’Union européenne. Le Rojava n’est pas sous la coupe directe de ce parti, mais il dépend d’une formation sœur, le Parti de l’union démocratique kurde (PYD).
Et il n’y a pas que la filiation idéologique qui peut poser problème. Amnesty International a publié en octobre 2015 un rapport virulent dénonçant des “crimes de guerre” commis par les forces militaires du Rojava sous couvert de lutte contre l’EI. L’ONG y documente des cas de destructions de villages arabes entiers et de déplacements forcés de cette population.
Des accusations contestées par le PYD qui a affirmé qu’Amnesty International ne s’est appuyé que sur des documents de seconde main. Robert Kluijver est plus nuancé : il reconnaît qu’il y a eu des destructions d’habitations, mais souligne qu’il faut les appréhender dans le contexte de la guerre civile en Syrie.
Pour le pirate informatique “Phineas Fisher”, le projet Rojava dépasse le simple cadre de la seule guerre civile syrienne et de ses exactions, il le compare “au mouvement anarchiste durant la guerre civile espagnole ou encore à la Commune de Paris”.