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Grande Guerre : Marie Curie au secours de la "brave petite Belgique"

Une exposition organisée en Belgique lève le voile sur une période méconnue de la vie de Marie Curie. Pendant la Grande Guerre, la célèbre scientifique a sauvé de nombreux soldats en créant des véhicules radiologiques mobiles : les petites Curies.

Il y a encore quelques années, Roseline Debaillie ne savait pas grand-chose de la Grande Guerre. C’est en découvrant une simple plaque sur une maison de sa ville de Furnes, dans le nord-ouest de la Belgique, que cette guide locale s’est passionnée pour cette période et surtout pour une grande figure de l’époque.

"Pendant la Première Guerre mondiale, la physicienne Marie Curie a résidé ici", lit-elle devant la façade typiquement flamande de l’ancien hôtel de la Noble Rose. Quelques mots qui ont aiguisé la curiosité de cette infirmière de métier. Comment la double prix Nobel franco-polonaise, internationalement reconnue pour ses travaux sur la radioactivité, s’est-elle retrouvée dans ce petit bout de Belgique en pleine guerre ?

Au début du conflit, Furnes, située à la frontière franco-belge, échappe à l’invasion allemande et devient le quartier général du roi Albert 1er de Belgique. La ville se trouve également être le dernier refuge du service de santé belge. C’est ici que les blessés arrivent en grand nombre depuis le front situé à quelques kilomètres, où Belges et Français se battent côte à côte.

À l’hôpital militaire de Furnes, le docteur Frans Daels voit arriver chaque jour des centaines de soldats atrocement mutilés. Face à l’ampleur de la tâche, il décide de faire appel à l’une de ses connaissances, Marie Curie. "Avant guerre, il était professeur de gynécologie à l’université de Gand. Il avait eu des contacts avec Marie Curie pour comprendre comment le cancer féminin pouvait être traité par le radium. Il n’avait jamais cru qu’une scientifique si importante lui viendrait au secours, mais pourtant dès le 5 décembre 1914, elle est arrivée ici à Furnes avec une voiture de radiologie", explique Roseline Debaillie. Ce sera la première d’une série de 10 visites en Belgique, rien que pour la première année de guerre.

La naissance des "petites Curies"

Dans une exposition organisée à l’office de tourisme de cette ville flamande, cette guide devenue historienne amateur raconte comment, pendant quatre ans, la physicienne et chimiste, veuve depuis la disparition prématurée de Pierre Curie en 1906, s’est dévouée entièrement à l’effort de guerre. "Quand le conflit a éclaté, elle a décidé d’arrêter temporairement ses recherches sur le radium et elle s’est concentrée sur la radiographie parce qu’elle savait que les services médicaux auraient besoin de cette technologie assez nouvelle inventée en 1895 par l’Allemand Wilhelm Röntgen", décrit Roseline Debaillie. "Elle a rassemblé dans une premier temps, les appareils disponibles dans les laboratoires et chez les constructeurs pour les installer dans des hôpitaux".

Mais très vite, la scientifique comprend que les soldats sont souvent trop grièvement blessés pour supporter le transport. Elle décide alors d’amener directement la radiologie auprès des victimes en créant des unités mobiles. Une vingtaine de véhicules sont équipés grâce à l’aide notamment de la Croix Rouge, mais aussi de constructeurs comme Peugeot ou Renault.

Ne pas se cacher dans son laboratoire

Avec ces voitures surnommées les "petites Curies", la chercheuse, qui obtient elle-même son permis 1916 – fait rare à l'époque – se rend elle-même au plus près du front, le plus souvent accompagnée de sa fille Irène, âgée seulement de 17 ans. Au total, elle effectue 45 missions entre 1914 et 1918, dont 11 en Belgique. Pour Roseline Debaillie, il s’agit d’un véritable tournant dans sa vie : "Elle voulait faire quelque chose de pratique pour aider les blessés. Elle ne voulait pas se cacher dans son laboratoire, mais souhaitait se rendre sur le terrain. La radiologie était des plus utiles car elle permettait d’aller au plus profond pour mesurer là où la balle ou les éclats étaient logés".

Malgré l'utilité de son engagement, Marie Curie rencontre des difficultés. Au sein de l’armée française, tout le monde ne voit pas d’un très bon œil les allers-retours de cette femme, simple civile, sur le front. Réprimandée par le directeur du service de santé militaire, la chercheuse lui tient tête dans un courrier et assume sa mission. Elle veut porter secours aux poilus français et à ce pays qu'elle appelle affectueusement "la brave petite Belgique". "À Furnes, j’ai fait des examens radiologiques dans le but de rendre des services. Le roi et la reine des Belges m’ont tous les deux exprimé leur désir de me voir continuer mes efforts", écrit-elle.

Connue pour sa détermination à toute épreuve, Marie Curie ne s’embarrasse pas des convenances, surtout pas en temps de guerre. Toutefois, en consultant les archives du Musée Curie à Paris et ceux de la Bibliothèque nationale de France, Roseline Debaillie découvre une autre facette de sa personnalité : "Elle a examiné elle-même 1 200 blessés. Un témoin a raconté : 'Madame Curie, si souvent froide et lointaine, est exquise avec les blessés. Des paysans, des ouvriers se montent effrayés avec les appareils, et demandent si l’examen va leur faire mal. Marie les rassure : vous verrez c’est comme une photographie'. Elle a un joli timbre de voix, des mains légères, beaucoup de patience et un respect immense de la vie humaine’".

Un caractère entier

Dans les hôpitaux ou avec ses petites Curies, la scientifique gagne le respect de tous, soldats et civils. Grâce à ces unités radiologiques, ce sont près d’un million d’examens qui sont réalisés pendant la Première Guerre mondiale. Même si elle n’a pas elle-même élaboré la technologie des rayons X, elle développe considérablement cette méthode médicale au cours de cette période. Pour preuve : alors qu’avant guerre, la France ne comptait que 21 postes de radiologie, à la fin du conflit, elle en comptabilise 850 dont 450 sous la direction de Marie Curie.

Pour autant, ses actions n’ont pas été récompensées à leur juste valeur. Comme le note sa seconde fille Ève dans sa biographie* : "Beaucoup de dames reçurent des décorations, des rosettes… Ma mère n’eut rien. Après quelques semaines, le rôle joué par elle dans le grand drame s’effaça de toutes les mémoires". Pour Roseline Debaillie, cet oubli s’explique aussi par le caractère entier de Marie Curie : "Elle n’aimait pas la publicité ni la presse. Elle ne voulait pas spécialement recevoir de médailles car elle pensait que la science était un don pour l’humanité et non pour recevoir des récompenses personnelles".

Jusqu’à sa mort en 1934, la célèbre scientifique a ainsi gardé le silence sur cette période. Dans l’un de ses carnets, elle avait cependant baissé la garde, laissant transparaître en quelques mots ses sentiments sur ce conflit : "Je n’ai jamais pu oublier cette terrible impression produite par cette destruction de la vie humaine et de la santé. Pour haïr l’idée même de guerre, il suffit de voir une fois ce que j’ai vu si souvent pendant toutes ces années : des hommes et des garçons apportées jusqu’à l’ambulance, dans un mélange de boue et de sang, beaucoup mourant de leurs blessures et beaucoup d’autres se rétablissant mais lentement et péniblement après des mois de souffrance".

-L'exposition Marie Curie est à visiter jusqu'au 8 janvier 2017 au Centre d’expérience Patrie Libre à Furnes, en Belgique.

-Le Musée Curie dans le Ve arrondissement à Paris est ouvert du mercredi au samedi, de 13 h à 17 h.

*Ève Curie, "Madame Curie", Gallimard, 1981