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Cannes, jour 9 : et si c'était "Juste la fin du monde" de Dolan ?

Attendus de pied ferme en compétition, "Juste la fin du monde" et son casting français cinq étoiles déroutent. Le prodige québécois Xavier Dolan a réussi à prendre la Croisette de court en faisant du... Dolan XXL. Comme un solde de tout compte.

C’est un véritable coup de massue qui vient de s’abattre sur Cannes. L’info nous vient des limiers, décidément bien informés, de The Hollywood Reporter : il se pourrait que la "Palme Dog" soit délivrée, cette année, à titre posthume. Le grand favori de ce prix récompensant depuis 2001 la meilleure prestation canine de la Quinzaine nous a quittés il y a maintenant plusieurs mois. Il s’appelait Nellie mais tout le monde se souviendra de ce bulldog britannique comme étant le facétieux Marvin du très beau "Paterson" de Jim Jarmusch.

La nouvelle a d’autant plus de mal à passer qu’en ce moment, l’état d’esprit est à la bouderie sur la Croisette. La cérémonie de clôture se profile à l’horizon et aucune Palme d’or ne se dessine clairement. Le festivalier, qui redoute un palmarès mal fagoté (comme avec "Dheepan", en 2015), n'aime pas ça. Le dépit est tel que ce qui s’annonçait comme un festival de "Xavier Dolan Bashing" n’a pas eu lieu. Même pas le cœur à ça.

On ne saurait, en tous cas, en rejeter la faute sur l’intéressé. Pour sa deuxième plongée dans le grand bain cannois (après "Mommy" qui avait fait sensation), le jeune prodige québécois de 27 ans n’a pas ménagé ses efforts pour titiller ses détracteurs. Tout dans "Juste la fin du monde" prête en effet le flanc aux critiques dont il fait irrémédiablement l’objet : hystérique, tape-à-l’œil, clipesque, tire-larmes… Trop de trop tue le trop.

L’histoire, tout d’abord (inspirée d’une pièce du défunt Jean-Luc Lagarce) : après 12 ans d’absence, Louis, un dramaturge à succès de 34 ans, retourne dans sa ville natale pour annoncer à sa famille qu’il va bientôt mourir. Huis-clos, repas de famille, engueulades, coups de poing sur la table. Le casting, ensuite : Gaspard Ulliel (dans le rôle de Louis) entouré de Nathalie Baye (qui joue Martine, la mère), Léa Seydoux (la petite sœur Suzanne), Vincent Cassel (le grand frère Antoine) et Marion Cotillard (Catherine, l’épouse de celui-ci). Une distribution cinq étoiles, donc. Que Xavier Dolan dirige jusqu’à la surinterprétation.

Le trop plein dans le trop peu

C’est dire si le sixième long-métrage de Xavier Dolan était très, très attendu (la Palme de la plus longue file d’attente lui est tout de suite décernée). Tellement attendu qu’on soupçonne le jeune cinéaste d’avoir voulu prendre tout le monde de court. Non pas en changeant de registre mais en le concentrant, le comprimant même, sur une durée peu habituellement courte pour lui (1 heure 37 montre en main).

Ce qui déroute dans "Juste la fin du monde", c’est le trop plein dans le trop peu. C’est ce déploiement d’énergie sur cette seule idée qui ressort du film : l’impossibilité de communiquer. Louis a des choses à dire mais les rancoeurs, les préjugés, les petites piques plus passives qu’agressives l’en empêchent. Louis ne parle pas, il écoute. Ou plutôt récolte les doléances par tonneau, s’en prend plein la tronche, mais jamais ne bronche (Ulliel fait ça très bien). Beaucoup de bruit et de fureur pour signifier finalement qu’une chose au fils prodigue : il n’est qu’un étranger. D’où le vouvoiement distancié, voire vexant, dont use systématiquement Catherine pour s’adresser à son beau-frère (Cotillard est touchante dans ce rôle de "pièce rapportée"). D’où le mépris d’Antoine (Cassel, plus sardonique tu meurs) et l’admiration à peine voilée de Suzanne (Seydoux, pétillante). D’où, enfin, cette phrase, très belle, de Martine à son fils : "Je ne te comprends mais je t’aime".

Le filmage est aussi resserré. Dolan multiplie les gros plans sur les visages, réduit l’espace à sa portion la plus congrue et module la lumière comme il le ferait avec une lampe halogène. En termes de mise en scène, les instants de grâce le disputent aux effets de style ronflants et à un usage de la musique plein volume entre arrangements apocalyptiques et pop ultra-suranné (Numa Numa d’O-Zone et Moby, c’est tellement années 2000…).

En clair, la famille que réunit ici le réalisateur, c’est celle de son cinéma : l’inventivité de "Laurence Anyways", l’angoisse de "Tom à la ferme", l’hystérie de "Mummy". Comme s’il avait ressenti le besoin de rassembler tout ce petit monde pour un dernier banquet avant son grand saut aux États-Unis. C’est déjà inscrit dans les agendas : en 2017, sortira "The Death and Life of John F. Donovan", première escapade hollywoodienne du Canadien pour laquelle il s’est entouré d’un aréopage de stars (Jessica Chastain, Natalie Portman, Susan Sarandon, la chanteuse Adele et Kit Harington, alias Jon Snow de "Game of Thrones"…). Une grosse machine qui devrait marquer un tournant dans sa prolixe carrière. Au point, peut-être, de laisser derrière lui ce qu'il a construit jusque maintenant. Juste la fin de "son" monde.