Entre un interminable road-trip, "American Honey" (avec Shia LaBeouf), et le très scolaire "Mal de pierres" (avec Marion Cotillard), la compétition du Festival de Cannes affiche un petit coup de mou.
Nous ne l’avions pas remarqué tout de suite. Peut-être étions-nous trop préoccupés par la météo maussade, ou par les débuts de la compétition ? Mais maintenant que la course à la Palme d’or entre dans sa phase "plan-plan", cela nous saute aux yeux : ce n’est pas l’affluence des grands jours sur la Croisette. Les projections presse n’affichent pas complet, les pistes de danse non plus. Cannes est loin d’être déserte mais il semblerait que la 69e édition, malgré (ou à cause d') un important dispositif de sécurité, ait subi un léger effet post-attentat de Paris. Au moins cela nous évite de faire la queue pour acheter le traditionnel panini bolognaise du jour ("Et avec ceci ?" "- Ce sera tout, merci").
Plan-plan donc, la compétition l’est progressivement devenue. Après une entame de match enthousiasmante emmenée par le Roumain Cristi Pui (fascinant "Sieranevada") et le Français Alain Guiraudie (hypnotique "Rester vertical"), la partie a commencé à prendre un petit coup de mou. La faute, entre autres, à des durées de films qui peinent à se justifier.
Nous l’évoquions, l’effet de surprise provoqué par "Toni Erdmann", de l’Allemande Maren Ade a été quelque peu altéré par de superflues minutes additionnelles. Mais ce n’est rien en comparaison du pensum "American Honey" d’Andrea Arnold : 2 heures 43 d’un fastidieux road-trip "white trash" arrosé de rap "Dirty South" glorifiant le fric, les "guns" et le sexe féminin (pour rester poli).
Pour résumer, on dira que la traversée de l’Atlantique n’a pas du tout réussi à la réalisatrice britannique. Particulièrement inspirée par les classes défavorisées de Glasgow ("Red Road", Prix du Jury en 2006) ou de l’Essex anglais ("Fish Tank", également Prix du jury en 2009), la cinéaste l’est beaucoup moins par les laissés-pour-compte du miracle états-unien. Trop occupée qu’elle est à filmer les paysages péri-urbains du Midwest américain, la cinéaste en oublie le principal : ses personnages.
Il y en a pourtant beaucoup dans son film (trop peut-être). Faisons les présentations : tout d’abord, il y a Star (Sasha Lane), post-adolescente de 18 ans qui quitte son sordide milieu familial pour rejoindre une bande de jeunes excités qui vend des magazines en faisant du porte-à-porte à travers les États-Unis. Nous avons ensuite Jake (Shia LaBeouf, épatant), considéré comme le meilleur vendeur de la troupe. Vient ensuite Kristal (Riley Keough, qui n’est autre que la petite-fille d’Elvis Presley), redoutable cheftaine qui récolte les sous en fin de journée. Et enfin, il y a les autres : Pagan, Corey, QT, Shaunte, Billy, Austin, Runt... qui sont là pour faire tapisserie.
De fait, en bon récit d’apprentissage, "American Honey" se focalise exclusivement sur la jeune Star. Ou, plutôt, sur son initiation à la liberté et à l’amour. Pour ce qui est de la liberté, patatras, c’est la désillusion. Aux États-Unis, c’est connu, la fascination pour le fric est telle qu’elle contamine jusqu’à la jeunesse en rupture de ban. Tout tatoués qu’ils sont, les camarades de Star sont soumis, par l’autoritaire Kristal, aux mêmes obligations qu’un salarié de Wallmart : être "corporates", efficaces et rapporter beaucoup d’argent. Comme tant d’autres metteurs en scène européens avant elle, Andrea Arnold n’a pas résisté à la tentation de démystifier le rêve américain. En enfonçant, si possible, des portes ouvertes.
Pour ce qui est de l’apprentissage de l’amour les choses s’avèrent tout aussi compliquées. Star a le béguin pour le bad-boy Jake. Mais Jake est distant. Or s’il est distant, c’est parce qu’il est amoureux d’elle. Et quand on est un bad-boy, on n’est pas amoureux. Décidemment, la vie, c’est pas facile. Force est cependant de reconnaître que la prestation livrée par Shia LaBeouf empêche le film de sombrer. Ce bougre de Shia est bon, même très bon, dans ce rôle d’adolescent attardé, faux dur mais vrai romantique. C’est simple, lorsqu’il n’est pas à l’écran, "American Honey" se vide de sa substance pour ne devenir qu’un long-métrage-juke-box enchaînant les tubes, syndrome des films qui n’ont pas grand-chose à dire. Et hop, un Bruce Springsteen bien senti, et paf, un Mazzy Star bien tristoune, et bing, un petit Rihanna, chanteuse officielle du cinéma de bandes de jeunes épris de liberté et d’indépendance. On attendait mieux d’Andrea Arnold que ces grosses ficelles.
Ni raffiné ni indigeste
Puisqu’on parle grosses ficelles, venons-en au cas Marion Cotillard. Appelée à gravir les marches pour sa cinquième compétition consécutive, la comédienne française est comme devenue la personnalité incontournable sur laquelle les sélectionneurs semblent avoir misé pour s’assurer chaque année et un beau tapis rouge et une belle performance d’actrice. Pour cette 69e édition, elle figure même dans deux films en compétition. Histoire de doubler ses chances d’attraper le prix d’interprétation qui lui a toujours échappé.
Avant de la voir dans "Juste la fin du monde", de Xavier Dolan, Marion Cotillard a fait son entrée en piste avec "Mal de pierres", de Nicole Garcia, autre habituée française du Festival (elle y a déjà présentée deux films). Que dire de ce film sinon qu’il est "normal" ? C’est l’adjectif qui nous est venu à l’esprit tant tout ici répond aux standards du drame psychologique en costumes.
Adaptation d’un roman de l’Italienne Milena Agus, "Mal de pierres" – joli titre – s’apparente à une copie de bon élève sans imagination. On a répondu à la problématique, on a coché toutes les cases en évitant soigneusement de déborder. La reconstitution de la Provence d’après-guerre est propre. La mise en scène est banalement académique, le scénario balisé jusque dans son coup de théâtre, le jeu des acteurs scolaire. Marion Cotillard interprète une femme mal mariée en quête d’amour absolu comme une actrice qui interprète une femme mal mariée en quête d’amour absolu : en pleurant à chaudes larmes entre deux portes d’un couloir mal éclairé.
Obscur objet du désir, le jeune lieutenant Louis Garrel n’insuffle pas davantage de souffle. Le pauvre vieux a contracté une maladie en Indochine. Il se soigne aux opiacés et parle comme un patient se soignant aux opiacés : avec de la bouillie dans la bouche. Tout cela manque cruellement de sel. "Mal de pierres" n’est ni raffiné ni indigeste, il est fade. On en sort sans savoir quoi en dire. Comme dans ces nombreux restaurants de Cannes où, à la fin d’un repas, le serveur nous demande si "ça a été". "Oui, oui", répondons-nous poliment en sachant qu’on n’y reviendra pas.