En octroyant à la France un mégacontrat pour construire 12 sous-marins, Canberra affiche sa volonté de moderniser sa flotte navale et affirme ainsi son ambition de s’imposer politiquement et économiquement dans la région.
Au regard des Français, il s'agit d'un juteux contrat de 34 milliards d'euros décroché par le constructeur naval DCNS pour fournir 12 nouveaux sous-marins à l'Australie. De quoi inciter le Premier ministre français Manuel Valls à faire une escale impromptue dans le pays, lundi 2 mai, pour sceller "ce partenariat stratégique majeur". Mais pour Canberra, il est aussi question de se doter de trois destroyers de défense anti-aérienne, de neuf nouvelles frégates, ainsi que de navires de reconnaissance côtière, selon le Livre blanc que la ministre de la Défense australienne Marise Payne a présenté en février 2016. Le gouvernement australien prévoit également de consacrer d’ici les dix prochaines années 20 milliards d’euros supplémentaires au budget de la défense, atteignant les 29 milliards d’euros en 2020-2021.
Ainsi, l'Australie affiche une doctrine claire en matière de défense : moderniser sa flotte pour être en mesure de rivaliser avec les puissances régionales voisines, et notamment Pékin. "La croissance des capacités militaires de la Chine constitue l'exemple le plus significatif de la modernisation militaire en cours dans la région, mais d'autres pays aussi ont lancé d'importants programmes de modernisation", peut-on lire dans le Livre blanc. "La force navale chinoise est la plus importante en Asie. En 2020, la Chine disposera de 70 sous-marins", mentionne-t-il également.
"Une course à l’armement"
"Contrairement à l’Europe, les pays de la région Asie-Pacifique sont entrés dans une course à l’armement", confirme Bruno Hellendorf, chercheur au Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité, basé à Bruxelles. Selon les données de cet expert, les dépenses militaires en Asie ont grimpé de 65 % entre 2004 et 2013.
La Chine tient la tête avec 166 milliards d'euros de dépenses militaires en 2014. "Les forces armées chinoises considèrent leur rêve de renforcement militaire comme partie intégrante du rêve chinois", indiquait le Livre blanc de la défense de 2015. Vient ensuite le Japon qui, face à la "menace chinoise", veut aussi augmenter son budget en matière de défense et obtenir une enveloppe de près de 38 milliards d’euros pour 2017. "La Corée du Nord, l’Inde, le Pakistan mais aussi le Vietnam ont également investi dans ce secteur, poursuit Bruno Hellendorf qui estime que d’ici à 2030, la moitié des forces sous-marines mondiales seront localisées dans la région".
"Carrefour stratégique"
Pour cause, Pékin multiplie les revendications territoriales en mer de Chine, et notamment sur les îles Spratleys, Paracels, Scarborough, Senkaku, qui sont régulièrement le théâtre de manœuvres navales militaires. "Ces îlots sont localisés dans un carrefour stratégique où transitent près de 40 % de trafic mondial, rappelle Bruno Hellendorf. Ce qui augmente le risque de la spirale de la violence".
Même si l’Australie, alliée des États-Unis et du Japon, n’est pas impliquée directement dans ces conflits, cette puissance économique dite "éloignée" ("Under down", en anglais) ne peut pas se permettre d’accuser un retard dans ce domaine face aux autres acteurs régionaux. "Surtout qu’elle ambitionne de se rapprocher de l’Asie économiquement et politiquement", précise Bruno Hellendorf.
Si aujourd’hui la Chine constitue son premier partenaire commercial, l’ambition majeure de l’Australie consiste "à s’intégrer dans le siècle asiatique", afin de s’imposer comme puissance dominante dans la région. "Pour cela, elle doit se munir d’armes de dissuasion militaires telles que les sous-marins, qui sont aussi une arme de négociation politique et économique incontournable dans la région", conclut-il.