Des médias français ont révélé, dimanche, le démantèlement d'un réseau de blanchiment de l'argent de la drogue de Colombie, via des intermédiaires libanais en Europe. Le Hezbollah et le nom de la famille Hariri apparaissent dans l’enquête.
Opération Cedar. Ce nom, digne d’un opus de James Bond, est celui d’une affaire qui traite d’un vaste réseau de blanchiment d’argent, qui s’étend de la Colombie au Liban, d’où la référence au cèdre, emblème du pays, avec notamment pour plaque tournante, la France.
Ce réseau mêle des narcotrafiquants colombiens et des intermédiaires libanais, dont certains sont soupçonnés d’être téléguidés par le Hezbollah. Même le nom de la puissante famille libanaise Hariri, dont celui de l’ancien Premier ministre Saad Hariri, apparaîtrait dans la vaste enquête de police.
Un système tentaculaire, de la Colombie jusqu’au Liban
Ce réseau tentaculaire a été mis au jour par les services de la DEA, l'agence fédérale antidrogue américaine, et les agents français de l'Office central pour la répression de la grande délinquance (OCRGDF), au terme d’un an d’enquête, dont les contours ont été dévoilés par le Journal du Dimanche et le Parisien dimanche 24 avril.
L’organisation reposait, depuis plusieurs années, sur l’action d’intermédiaires qui achetaient avec l’argent généré par des narcotrafiquants colombiens en Europe des voitures haut de gamme (des 4x4 et des berlines) et des montres grand luxe, pour des montants allant jusqu'à un million d’euros, qu’ils expédiaient ensuite au pays du Cèdre pour qu’elles y soient revendues et ainsi permettre de récolter l’argent "propre".
Des sommes colossales - 13 millions d’euros en 2015 - étaient ensuite transférées à qui de droit en Colombie, selon une règle de compensation, par des relais libanais en Amérique du Sud. D’autres transferts d’argent se faisaient directement, physiquement par des passeurs, depuis Paris notamment, jusqu’à Beyrouth.
Un système qui profite au Hezbollah, selon Washington
Début 2015, une information judiciaire a été ouverte et confiée au juge Baudoin Thouvenot. La piste a rapidement mené à des "collecteurs" et des "blanchisseurs", majoritairement d’origine libanaise. Les premiers étaient chargés de récupérer l'argent sale en Italie, Espagne, France, Allemagne, Belgique et Pays-Bas. Les seconds se chargeaient ensuite d’acheter en liquide les marchandises haut de gamme revendues au Liban.
En janvier 2016, une quinzaine de personnes ont été interpellées à travers le continent européen, tandis que d’autres sont toujours recherchées.
Selon les enquêteurs américains, le Hezbollah, le mouvement chiite libanais parrainé par l’Iran, est à l’instar des cartels colombiens, l’un des principaux bénéficiaires du système, qui a été découvert. Concrètement, le mouvement armé de Hassan Nasrallah est soupçonné de prélever une dîme sur les transactions qui sont faites par des proches du parti. Au point que, selon le Parisien, les services américains sont persuadés d'avoir démantelé l'une des filières de financement du Hezbollah.
La famille Hariri parmi les bénéficiaires ?
L’autre révélation concerne la famille Hariri. Précisément le nom de l'ancien Premier ministre libanais Saad Hariri, et celui de son frère Fahd, retrouvé sur les fadettes de membres du réseau, apparaissent dans l’enquête.
D’après l'un des collecteurs, interrogés par les enquêteurs français, des sommes importantes auraient été livrées à un avocat libanais installé à Paris, au bénéfice de son client, l’ancien chef du gouvernement. D’après un autre témoignage, reproduit par le Parisien, un collecteur affirme que 7 millions d’euros auraient été remis à l'avocat au profit de Saad Hariri, dont le groupe de BTP rencontre depuis quelques mois des difficultés financières. Toujours est-il que la justice française n’a pour l'instant pas mis en cause les frères Hariri.
"Les allégations présumées de ces individus sont sans aucun fondement", a indiqué le bureau de presse de l’ancien Premier ministre.
Le Hezbollah et les Hariri bénéficiaires de la même source de financement illégal au mépris de leur rivalité notoire ou alors à leur insu ? À moins que l’enquête ne prouve le contraire, pour les fins connaisseurs de la scène politique libanaise, pourtant habitués aux nombreuses facéties de cette dernière, cette information a de quoi surprendre, tant l’inimitié entre le Hezbollah chiite et le camp sunnite chapeauté par la puissante famille sunnite est vive.
Et pour cause, l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri, ancien Premier ministre et père de Saad Hariri, a pointé un doigt accusateur vers le parti chiite. Cinq de ses membres ont formellement été mis en accusation par le Tribunal spécial pour le Liban, chargé de rendre justice dans cette affaire.