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Destitution de Dilma Rousseff : une bataille politico-judiciaire qui s'annonce longue

correspondant à Sao Paulo – En votant pour la destitution de la présidente Dilma Rousseff, les députés brésiliens ont ouvert la voie à une procédure d'"impeachment", qui annonce une longe période de batailles politiques et judiciaires.

• Le sort de Dilma Rousseff est-il scellé ?

Les députés du Brésil se sont prononcés, dimanche 17 avril, en faveur d’une destitution de la présidente Dilma Rousseff, accusée d'avoir maquillé les comptes publics pour favoriser sa réélection en 2014. Mais ce vote à la Chambre des députés ne signifie pas que la chef de l’État soit obligée quitter le pouvoir immédiatement. Cette décision doit être confirmée par le Sénat le 11 mai.

Il suffira alors d'un vote à la majorité simple des sénateurs pour qu'elle soit mise en accusation pour "crime de responsabilité" et écartée du pouvoir pendant une période maximum de 180 jours, en attendant un verdict final sur sa destitution par un vote aux deux tiers. 

"Il est important de préciser que la majorité du Sénat est déjà acquise à l’opposition, le sort de la présidente brésilienne est donc extrêmement délicat, précise Nicolas Ransom, correspondant de France 24 au Brésil. Le Parti des travailleurs, au pouvoir depuis 12 ans, est abasourdi, et certains membres du parti suggèrent d’ailleurs que Rousseff réduise la durée de son mandat en convoquant une élection présidentielle anticipée."

• De quoi est accusée Dilma Rousseff ?

L’acte de destitution lui reproche son "irresponsabilité" en matière budgétaire. En 2014, son gouvernement aurait maquillé des déficits publics en prêts contractés auprès de banques publiques, ce que la présidente brésilienne nie. Ce tripatouillage de comptes publics est connu au Brésil sous l’appellation intraduisible mais imagée de "pedaladas".

Ce n’est donc pas son rôle dans le méga scandale de corruption Petrobras qui est en jeu. Ni la nomination de Lula au gouvernement, en mars, qui avait déclenché de violentes réactions parmi les Brésiliens.  

>> À lire sur France 24 : Une coalition de parlementaires corrompus proche de faire tomber Dilma Rousseff  

Depuis sa réélection, Dilma Rousseff fait face à l’opération "Lava Jato", une enquête judiciaire de grande envergure qui révèle jour après jour les liens de corruption entre personnages politiques et grandes entreprises (principalement du BTP et du secteur de l’énergie), sans épargner les membres de son parti.

En plus de cette opération "Mains propres" à la brésilienne qui secoue les institutions du pays, le Brésil s’enfonce dans une violente récession économique. L’incapacité de Dilma Rousseff à contenir la crise l’a mise sous le feu des critiques des milieux d’affaires, mais aussi de ses soutiens politiques, qui lui reprochent de sacrifier les classes populaires.

Depuis des mois, la présidente parvient difficilement à gouverner en raison de son impopularité. Les dirigeants de l’opposition veulent écourter son mandat pour que le pays puisse "prendre un nouveau départ".

Selon Luis Almagro , le secrétaire général uruguayen de l’Organisation des États américains (OEA), "pour nous, il s’agit d’une procédure de destitution contre une présidente qui n’est pas accusée d’avoir commis des actes illégaux. C’est d’autant plus préoccupant que ceux qui ont actionné le mécanisme de destitution sont des parlementaires qui sont eux-mêmes sous le coup d’accusations, ou qui ont été condamnés. C’est le monde à l’envers."

• La destitution de Dilma Rousseff est-elle légitime ?

Si la procédure a suivi toutes les étapes constitutionnelles et légales, la destitution de Dilma Rousseff obéit avant tout à une logique politique.

Le combat pour sa destitution voit s’affronter les défenseurs des acquis du "lulisme" et l’establishment conservateur brésilien qui, après avoir perdu quatre élections présidentielles successives, veut récupérer le pouvoir à tout prix.

Pour Mario Conti , éditorialiste du journal Folha de Sao Paulo et de la chaine GloboNews, "rien, jusqu’à présent, ne prouve un enrichissement personnel de la présidente. C’est évident qu’elle a contribué à l’état de récession dans lequel est plongé le pays, qu’elle a menti pendant la campagne électorale, qu’elle est irascible. Mais tout cela ne constitue pas un crime de 'responsabilité' et ne justifie pas une destitution", ajoutant : "Elle n’a pas volé, et c’est une bande de voleurs qui la juge. L’élite brésilienne veut mettre un terme au cycle politique du Parti des travailleurs quel qu’en soit le prix."

• S'agit-il d'un coup d'État constitutionnel ?

C’est ce que Dilma Rousseff, Lula et les dirigeants du PT affirment depuis des mois. Une opinion partagée par beaucoup de Brésiliens , militants ou sympathisants de gauche qui défilent depuis des mois derrière le slogan "Nao vai ter golpe" ("Il n’y aura pas de coup d’État").  

>> À lire sur France 24 : Dilma Rousseff passe à l’attaque à la veille du vote sur sa destitution au Brésil 

Pour beaucoup, c’est la démocratie qui est en jeu. On ne peut démettre une présidente démocratiquement élue parce que l’opposition et l’opinion publique jugent négativement sa gestion de l’économie et de l’État.

Ceux qui affirment que c’est un coup d’État s’appuient sur les sombres réalités de la classe politique brésilienne. L’ultra conservateur évangéliste Eduardo Cunha, président de la Chambre des députés, est accusé de blanchiment d’argent pour des montants astronomiques (de 5 à 40 millions de dollars selon les sources). Et c’est lui qui, en décembre, avait jugé recevable la demande de destitution au moment où la commission d’éthique du Parlement souhaitait le suspendre de ses fonctions.

Selon Transparency Intenational , 36 des 65 députés qui formaient la commission parlementaire qui a autorisé la mise au vote de la motion de destitution le 11 avril ont déjà été condamnés ou sont inculpés pour des faits allant de malversations électorales au blanchiment d’argent. Selon l’ONG, 60 % des parlementaires brésiliens ont (ou ont eu) affaire à la justice pour des affaires de corruption mais aussi de meurtre, d’enlèvement et séquestration ou encore de déforestation illégale.

• Qui peut succéder à Dilma Rousseff ?

Le vice-président Michel Temer assumerait alors ses fonctions et formerait un gouvernement de transition.  À Brasilia, cet ancien allié de la chef de l’État  se comporte déjà en nouveau président et consulte en vue de la formation de son prochain gouvernement. "Le traître en chef", dixit Dilma Rousseff , a même fait fuiter son discours d’investiture à la presse et explique déjà quelle politique il entendrait mener en tant que président. Selon le Jornal do Brasil , il pourrait prêter serment le 11 mai si le Sénat ratifiait la décision des députés. En cas de majorité qualifiée des deux tiers, Michel Temer pourra assumer la présidence jusqu’au terme du mandat présidentiel, en 2018.

Cet avocat constitutionaliste de 75 ans a été le colistier de Dilma lors de la campagne de 2010 et de 2014. Sa place sur le ticket présidentiel, il la doit à sa fonction de chef du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB ), l’un des trois grands partis du pays, avec qui tous les présidents ont fait alliance depuis le retour à la démocratie en 1985, afin d’avoir une majorité au Parlement et pouvoir ainsi gouverner.

Chef d’un parti centriste "attrape-tout" sans colonne vertébrale ni idéologie, roi des marchandages et des intrigues, il pourrait cependant voir ses ambitions sapées par une procédure de destitution concernant des irrégularités commises dans le cadre du financement de sa campagne électorale de 2014.

En cas de destitution du vice-président, peuvent lui succéder, dans l’ordre, Eduardo Cunha, le président de la Chambre des députés, puis Renan Calheiros, le président du Sénat, tous deux impliqués dans des affaires de corruption. Vient ensuite Ricardo Lewandowski, le président de la Cour suprême. Tous trois seraient sommés par la Constitution d’organiser une nouvelle élection présidentielle dans les 90 jours qui suivent leur prise de fonction.

Ainsi, plutôt que de mettre un terme à une longue crise politique, la destitution de Dilma Rousseff ouvrirait très certainement une longue période de batailles politiques et judiciaires.