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Inquiets de l’avancée des jihadistes de l’organisation de l’État islamique en Libye, les gouvernements européens veulent apporter leur soutien au nouveau gouvernement d’union, qui peine à s’imposer.

Les chefs de la diplomatie française et allemande, Jean-Marc Ayrault et Frank-Walter Steinmeier, ont effectué samedi 16 avril une visite surprise à Tripoli, la capitale libyenne, pour exprimer leur soutien au gouvernement de Fayez al-Sarraj.

Les ambassadeurs de France, du Royaume-Uni et d’Espagne s’étaient rendus plus tôt sur la base navale à Tripoli, où s’est installée la toute jeune administration du gouvernement soutenu par l’ONU. Le groupe de diplomates s’est même engagé, lors d’une conférence de presse conjointe à le 14 avril, à rouvrir les ambassades fermées depuis 2014, alors que la capitale libyenne était en proie au chaos.

Depuis la chute de Mouammar Kadhafi, tué à la suite d’un soulèvement populaire, la Libye a progressivement sombré dans l’instabilité. Diverses factions politiques se livrent une lutte pour le pouvoir tandis que l’organisation de l'État islamique (EI) a pris pied dans le pays.

"Nous sommes prêts à apporter le soutien nécessaire au gouvernement d’unité qui en a fait la demande", a ainsi déclaré l’émissaire français Antoine Sivan, depuis la base navale où le gouvernement d’union nationale tente de prendre ses marques.

Cette visite des ambassadeurs survient au moment où l’Union européenne s’apprête à débattre de l’envoi d’une mission d’assistance à la police et aux garde-frontières libyens, dans le but d’aider les nouvelles autorités à stabiliser le pays. Des discussions par vidéoconférence doivent se tenir à ce sujet lundi 18 avril entre les ministres des Affaires étrangères et de la Défense européens et le Premier ministre libyen Fayez al-Sarraj. "Une éventuelle mission civile pourrait aider les efforts libyens par le biais de conseils et de renforcement des capacités de la police et de la justice sur le terrain", évoque ainsi le projet, faisant référence à la lutte anti-terroriste mais aussi au contrôle des frontières, pour endiguer le flux de migrants qui traversent la Méditerranée vers l’Europe.

Lutter contre les jihadistes de l’EI en Libye

Ce projet, toujours en discussion, est le dernier signe en date montrant que pour les Européens, il y a urgence à aider la Libye. Le pays est devenu une rampe de lancement pour l’immigration illégale vers l’Italie et source d’inquiétude en raison de la présence de groupes jihadistes ayant fait allégeance à l’EI dans la région centrale de Syrte.

"Bien que les diplomates de l’UE affirment que la mission de conseil et de formation portera sur la lutte contre le trafic d’êtres humains, en réalité, il s’agira bien de lutter contre l’EI. La priorité pour le gouvernement libyen et pour les Européens est de lutter contre l’EI, la question du trafic vient en second plan", explique Jason Pack, expert de la Libye et fondateur du site eyeonisisinlibya.com.

"Le gouvernement d’union, n’a, bien entendu, aucune force de sécurité, mais les autres gouvernements n’en ont pas non plus. Il peut compter, de manière temporaire, sur des milices loyales", observe-t-il. "Reste que si ces milices seront heureuses de recevoir une formation, particulièrement si elle est accompagné d’armes, cela ne signifie pas pour autant qu’elles auront la volonté de combattre l’EI".

En outre, iI n’y a pas que l’UE qui attend un appel de Fayez al-Sarraj, c’est également le cas de l’OTAN. Son secrétaire général Jens Stoltenberg a ainsi déclaré jeudi que l’Alliance était prête à aider à la lutte contre l’EI en Libye, dès que le nouveau gouvernement libyen lui en ferait la demande. "Nous sommes prêts à apporter de l’aide, mais ils doivent la solliciter. Nous n’enverrons pas de troupes et nous ne ferons aucune action en Libye tant qu’une demande du gouvernement libyen ne nous est pas parvenue", a affirmé Jens Stoltenberg à la chaîne d’information britannique Sky News.

Un pays, trois gouvernements

Malgré les efforts des Occidentaux pour imposer l’unité en Libye, le pays est aujourd’hui divisé entre trois gouvernements, dont deux dans la capitale. La formation d’union de Fayez al-Sarraj, soutenue par l’ONU, a réussi à gagner le soutien de plusieurs milices et à reprendre le contrôle de la banque centrale ainsi que de la Compagnie pétrolière nationale, mais il reste confiné sur la base navale de Tripoli, où le Premier ministre est arrivé par la mer, le 30 mars dernier.

Quant au chef de l’autre gouvernement de Tripoli, Khalifa Ghweil, il a refusé jusqu’à maintenant de reconnaître l’autorité du gouvernement d’union. Le parlement de l’Est, reconnu par la communauté internationale et basé à Tobrouk, doit approuver par vote le gouvernement de Fayez al-Sarraj. Les négociations sur le rôle à donner au chef militaire de l’est du pays, le général Khalifa Haftar, compliquent encore la situation.

Paris et Rome ont en effet entretenu de bonnes relations avec le général Haftar, qui se pose en défenseur de la laïcité. Selon des sources libyennes, il était même question que des actions militaires des forces spéciales françaises soient coordonnées avec celle des troupes du général. Or, les autorités françaises apportent aujourd’hui leur soutien à une autre administration libyenne, le gouvernement d’union. "Contrairement aux États-Unis ou au Royaume-Uni, la France et l’Italie font face au problème posé par le fait de coopérer à la fois avec le gouvernement d’union et avec les forces d’Haftar", explique Jason Pack.

Selon cet expert, Paris et Rome "devraient cesser de collaborer avec les forces d’Haftar et ne soutenir que le gouvernement d’Al-Sarraj. Mais la France est alliée de l’Égypte et des Émirats arabes unis, principaux soutiens du général, et les autorités françaises pourraient vouloir tenter de jouer les deux cartes en rapprochant Haftar et le gouvernement d’union", avance-t-il.

Le gouvernement Al-Sarraj doit mainenant parvenir à un accord avec le parlement de Tobrouk et le général Haftar, qui veulent désigner le chef de la future armée nationale. Si le parlement n’approuve pas légalement le gouvernement d’union le 18 avril prochain, cela pourrait donner lieu à de nouvelles oppositions ailleurs dans le pays divisé.