
L'affaire des "bébés congelés" a mis en lumière un phénomène psychologique relativement courant chez les femmes enceintes. Décryptage avec Félix Navarro, président de l’Association française pour la reconnaissance du déni de grossesse.
FRANCE 24 - Le déni de grossesse est-il considéré comme une pathologie par la médecine ?
Félix Navarro - Non. Le déni de grossesse ne figure pas dans la classification de maladies psychiatriques. Pourtant, les médecins le connaissent bien. Notre objectif est justement de le faire reconnaître. Nous estimons que cela facilitera le traitement de ceux qui en souffrent.
Le déni est le fait de ne pas reconnaître ce qui doit l’être, mais dans le cas qui nous préoccupe le corps ne donne aucun signe de grossesse. Normalement, les femmes enceintes prennent du poids, mais pour celles qui souffrent du déni la prise de poids est réduite de 2 à 3 kilos.
On a même pu constater que certaines femmes perdaient du poids alors qu’elles attendaient un enfant ! Elles ont souvent le ventre plat et vont à la plage quelques jours avant l’accouchement. Ainsi les symptômes sont réduits, voire absents, et souvent mal interprétés. Certains signes peuvent même semer le trouble. Ces femmes ont très souvent leurs règles. Certaines disent qu’elles ont soupçonné une grossesse mais que le retour des règles les a induites en erreur.
F24 - Vous décrivez des cas où l’accouchement s’est finalement bien déroulé, mais dans certaines circonstances l’issue peut être tragique. Quelle est la fréquence de ces cas ?
F.N. - L’immense majorité des cas se passe bien. Selon les dernières études un déni de grossesse intervient dans un accouchement sur près de 500. En France, cela représente près de 300 cas par an. En revanche, le déni total, c'est-à-dire quand une femme découvre sa grossesse lors de l’accouchement, est plus rare, un cas sur 2 500. Les accouchements tragiques pourraient s’élever à quelques dizaines par an. Mais ce chiffre comprend les morts naturelles et les meurtres.
Il faut comprendre les circonstances dans lesquelles ces drames surviennent. Une femme qui souffre du déni de grossesse complet ressent des douleurs atroces qu’elle ne comprend pas. Elle perd les eaux et voit quelque chose sortir de son corps. Une chose qu’elle distingue mal, qui est parfois inanimé, et qu’elle n’identifie souvent pas à un bébé.
Les accouchements peuvent se produire n’importe où, aux toilettes, dans la rue, la voiture, au bureau… Dans tous les cas, les conditions ne sont pas propices, elles risquent leur propre vie et ne sont certainement pas en mesure d’apporter les soins appropriés à leur bébé.
Certaines femmes sont prises d’affolement extrême, de délire et, dans un moment psychotique, peuvent faire un geste fatal. Heureusement, la plupart de ces femmes ressentent des douleurs qui leur permettent de se rendre à l’hôpital.
F24 - Ce phénomène est mieux connu aujourd’hui, certaines études ont été publiées sur le sujet. Est-ce que cela signifie que ces femmes sont prises en charge ?
F.N. - Cela reste très aléatoire et dépend souvent de la structure d’accueil. Sachez que certaines femmes ressentant des douleurs se sont rendues à l’hôpital et que celui-ci les a renvoyées chez elles, alors qu’elles étaient sur le point d’accoucher ! Mais si elles sont traitées par des spécialistes qui connaissent le déni de grossesse, elles seront bien prises en charge. D’une manière générale, ces femmes sont mal comprises. Je ne parle pas du cas de Véronique Courjault, que je ne connais pas.
F24 - Pour les cas avérés de déni de grossesse, les femmes ont-elles une intention criminelle ?
F.N. - Comment pourraient-elles en avoir puisqu’elles ne savaient même pas qu’elles attendaient un enfant ? Dans ce cas, l’infanticide n’est pas prémédité. Leur jugement est altéré, elles ne discernent pas leurs actes. Logiquement, elles ne devraient pas être jugées. Elles sont comme dans un état de folie passagère. Les cas de dénis de grossesse multiples sont plus rares, mais ils existent, d’où l’intérêt de prendre en charge les victimes. Certaines femmes ne se souviennent des infanticides précédents que lors de leur jugement ! Dans certains de ces cas une explication est mise en avant : un problème psychanalytique refoulé. Quelque chose de si profond qu’il bloque leur propre processus de maternité.