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Femmes en Résistance : "Beaucoup d'entre elles ne sont pas passées à la postérité"

Une exposition au Mémorial de la Shoah rend hommage aux résistantes à travers des objets d'époque mais aussi des bandes dessinées consacrées à plusieurs grandes figures. Longtemps ignorées, leurs actions sont enfin estimées à leur juste valeur.

Ce qui frappe dans l’exposition "Femmes en résistance" au Mémorial de la Shoah, ce sont les visages. Sur les murs, des dizaines de photos en noir et blanc montrent des profils juvéniles. Certaines ne sont encore que des adolescentes, à peine sorties de l’enfance. Mais de leur regard à toutes se dégage la même détermination. Les yeux brûlent d’une même force. Lors de la Seconde Guerre mondiale, chacune à leur niveau, ont choisi de dire "non".

Le Mémorial a rendu hommage à 90 d’entre elles. "C’est un sujet qu’on a peu abordé, explique Sophie Nagiscarde, responsable du service des activités culturelles. Cela m’a attristé de voir qu’il y a des femmes qui se sont investies d’une manière incroyable et que malgré tout, même si quelques unes sont entrées au Panthéon récemment ou que d’autres ont été enterrées au Mont Valérien, beaucoup d’entre elles qui étaient dans des réseaux et qui ont eu parfois des postes de commandement ne sont pas passées à la postérité, par rapport à leurs camarades masculins de la Résistance."

"Je meurs pour ce pourquoi nous avons lutté"

L’exposition rappelle le rôle des grandes figures comme Lucie Aubrac, Germaine Tillion ou Marie-Claude Vaillant-Couturier, mais elle met aussi en lumière des histoires moins connues, comme celle de France Bloch-Sérazin.

Militante communiste, elle participe aux premiers groupes de résistance et fabrique des explosifs utilisés lors d’attentats. Arrêtée en mai 1942, puis condamnée à mort, elle est déportée en décembre en Allemagne. Dans une vitrine du Mémorial est exposée la dernière – et très émouvante – lettre qu’elle adresse à son mari avant d’être guillotinée : "Je vais mourir comme tant d'autres sont tombés depuis des mois […] Je meurs pour ce pourquoi nous avons lutté, j'ai lutté ; tu sais comme moi que je n'aurais pas pu agir autrement que je n'ai agi : on ne se change pas."

Un peu plus loin, ce sont des témoignages tout aussi bouleversants qui s'offrent aux visiteurs : de petits objets fabriqués par des résistantes déportées dans le camp de Ravensbrück et qu'elles ont rapportés à la Libération.

Plus d’une soixantaine de documents d’époque sont ainsi regroupés au Mémorial pour montrer l’action de ces femmes d’exception. Comme aimait à le rappeler Henri Rol-Tanguy, chef des FFI d’Île-de-France durant la Libération de Paris, sans elles, "la moitié de notre travail eut été impossible". Nourrir, héberger, soigner, saboter, elles ont été de tous les combats. Certaines ont aussi pris les armes comme Simone Segouin, devenue sous-lieutenant, d’autres ont lutté en musique comme Anna Marly, compositrice du Chant des Partisans, tandis que quelques unes ont collecté des renseignements, à l’image de Rose Valland, employée au musée du Jeu de Paume.

"Vivre conformément à l’honneur et à l’idéal qu’on se fait"

Pour mieux illustrer ces parcours remarquables et s’ouvrir à un public plus jeune, l’exposition s’appuie aussi sur les planches de la série de l'éditeur Casterman dédiées aux femmes résistantes. "Ce sont des bandes dessinées de facture classique mais elles puisent aussi beaucoup dans des documents d’époque. C’est un très bon support qui permet de montrer que l’histoire reste quelque chose de vivant", explique Sophie Nagiscarde.

Le quatrième et tout dernier tome est consacré à Mila Racine. Née à Moscou en 1919, cette jeune femme, dont la famille avait fuit le régime soviétique pour s’installer à Paris, s’engage très tôt dans la Résistance. À peine âgée de 20 ans, elle vient en aide aux internés dans des camps du sud de la France, puis elle devient convoyeuse d’enfants juifs envoyés clandestinement en Suisse pour échapper à la persécution. Mais en octobre 1943, l’un de ces convois est intercepté par une patrouille allemande. Déportée à Ravensbrück puis à Mauthausen, elle perd la vie à quelques jours de la Libération, lors d’un bombardement. "C’est une résistante qui est très chère au cœur du Mémorial", insiste Sophie Nagiscarde.

Mila Racine était elle-même de confession juive. Lieu de mémoire du génocide de la Seconde Guerre mondiale, le Mémorial a consacré la deuxième partie de son exposition aux résistantes juives. Un peu partout en Europe, les femmes de cette communauté ont lutté contre l’occupation que ce soit en sauvant des enfants, en rejoignant la lutte armée comme dans le ghetto de Varsovie ou en en continuant à faire vivre leur culture. Les portraits de 50 d’entre elles s’affichent en grand. "Ce qui est beau dans cette exposition, c’est que chaque histoire pourrait faire l’objet d’une nouvelle bande dessinée", estime Sophie Nagiscarde en contemplant ce mur des héroïnes.

Certaines ont survécu à la guerre et vivent encore aujourd’hui. Des rencontres organisées jusqu’au mois de septembre au Mémorial de la Shoah vont permettre aux visiteurs de venir écouter leurs témoignages et de transmettre cette mémoire. Soixante-dix ans après le conflit, elles ne cherchent plus vraiment la reconnaissance, mais souhaitent seulement perpétuer la mémoire de leurs camarades tombées au combat.

La Française Berty Albrecht, membre du réseau Combat et décédée en mai 1943 à la prison de Fresnes, est l’une d’entre elles. Confiante dans son action, elle avait résumé son engagement dans une lettre à son mari : "La vie ne vaut pas cher, mourir n'est pas grave. Le tout, c'est de vivre conformément à l'honneur et à l'idéal qu'on se fait."

-"Femmes en résistance", jusqu'au au vendredi 30 septembre 2016 au Mémorial de la Shoah, entrée libre.