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Go : “AlphaGo a fait preuve de qualités humaines” selon le triple champion de France

Le résultat final du match de go entre AlphaGo et Lee Sedol semble prouver que la machine est imbattable. Ce n’est pas l’avis de Farid Ben Malek, seul joueur français professionnel de ce jeu ancestral.

Finalement, Lee Sedol n’aura fait qu’un tout petit peu mieux que le champion européen de go Fan Hui, qui avait perdu 5-0 en octobre 2015. Mardi 16 mars, à l’issue d’une rencontre en cinq matches, la légende sud-coréenne de ce jeu millénaire s’est inclinée 1 à 4 contre AlphaGo, le programme mis au point par DeepMind, une filiale d’Alphabet (ex-Google).

Cette contre-performance a d’autant plus déçu le champion sud-coréen qu'il ne juge pas AlphaGo infaillible. “Un humain peut gagner et c'est pour cela que je suis mécontent de ma prestation”, a regretté Lee Sedol après sa déroute.

Si cette prouesse d’AlphaGo est un grand bond technologique en avant, abondamment commenté, la rencontre a aussi été un événement sportif et humain important. Le triple champion de France de go et seul joueur français professionnel, Farid Ben Malek, dresse pour France 24 le bilan de ce match qui a vu la machine battre l’homme dans un jeu censé être trop complexe à comprendre pour un algorithme.

France 24 : AlphaGo a écrasé le champion européen Fan Hui et a infligé une lourde défaite au légendaire Lee Sedol. La machine est-elle devenue imbattable ?
Farid Ben Malek : Je ne pense pas. Elle a subi un revers lors de la quatrième rencontre, remportée par Lee Sedol, et a commis une erreur importante au début de la cinquième partie. Tout le monde a cru que le joueur sud-coréen s’imposerait. S’il a échoué, c’est essentiellement parce que lui-même s’est un peu relâché après l’imprécision de son adversaire et non pas parce qu’AlphaGo était imbattable.

Dans ce cas, quels sont les défauts de la machine ?
Ce programme est moins à l’aise dans les positions les plus complexes. Dans ces situations, je pense que la capacité humaine à faire preuve d’intuition et de créativité pour trouver un bon coup prévaut encore sur la puissance de l’algorithme. C’est en tout cas ce que semble avoir prouvé la quatrième partie, remportée par Lee Sedol.
L’autre limite d’AlphaGo est le temps. L’algorithme est particulièrement fort lorsque les parties sont courtes car il calcule très vite, mais la différence avec un adversaire humain est beaucoup moins marquée quand chacun a le temps pour évaluer la position.

Et qu’est-ce qui vous a le plus impressionné chez AlphaGo ?
J’ai trouvé que l’ordinateur avait fait preuve de qualités humaines dans son jeu. Il a notamment su faire des coups qu’on peut qualifier d’intuitifs. Le go n’est pas un jeu fini comme le morpion où il est possible de savoir dès le départ quel est le meilleur coup et AlphaGo l’a bien compris. En fait, on aurait pu croire que l’algorithme chercherait à trouver une réponse définitive à chaque position, mais il n’a pas procédé ainsi, comme l’ont démontré certains coups surprenants.

L’autre élément est l’immense expérience emmagasinée par AlphaGo. Les programmeurs l’ont nourri avec plus d’un million de parties de go. Il faut bien comprendre que la principale différence entre un joueur professionnel et un fort amateur est l’expérience. Pendant mon apprentissage au Japon, je devais passer dix heures par jour à étudier le go. J’étais fier lorsque je connaissais par cœur 30 parties. Alors imaginez une machine qui peut démontrer des qualités humaines en jouant et qui a un répertoire de plus d’un million de parties !

Qu’avez-vous pensez de la prestation de Lee Sedol ?
Il faut d’abord se rendre compte d’une différence entre les deux adversaires : Lee Sedol jouait avec une énorme pression, tant ce match était regardé et analysé, alors qu’AlphaGo y est insensible. Le joueur sud-coréen a tenté de déstabiliser la machine lors de la première rencontre en jouant des coups hors norme, ce qui n’a pas marché. C’est aussi ce que le champion du monde d’échec [en 1997] Garry Kasparov avait tenté de faire sans succès contre le programme Deep Blue.

Dans la deuxième partie, Lee Sedol a eu une approche très lente, passive, alors qu’il est connu pour avoir un style beaucoup plus agressif. Là encore, il a perdu.

En fait, le joueur n’a gagné que lorsqu’il a décidé d’adopter sa manière de jouer habituelle, lors de la quatrième rencontre. Cette victoire prouve que Lee Sedol n’aurait pas dû considérer AlphaGo comme un programme qu’il faut essayer de vaincre en découvrant les failles de l’algorithme. Pour le vaincre, il convient de le traiter comme un joueur humain.