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"L’Amérique latine était l’oubliée de la France, elle est désormais sur son radar"

En se déplaçant durant trois jours, du 23 au 25 février, au Pérou, en Argentine et en Uruguay, François Hollande a remis l'Amérique latine au centre de la politique étrangère française, explique Gaspard Estrada, spécialiste de la région.

François Hollande achève, jeudi 25 février, sa tournée en Amérique latine qui l’a mené au Pérou, en Argentine et en Uruguay. Selon l’Élysée, le voyage du président de la République avait pour but de réinvestir la politique étrangère française dans cette région du monde. Car avant lui, seuls le général de Gaulle et François Mitterrand avaient montré un réel intérêt pour l’Amérique latine, rappelle à France 24 Gaspard Estrada, directeur exécutif de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (Opalc). Selon lui, l’Amérique latine "est désormais entrée dans le radar" de la France.

France 24 : La tournée de François Hollande en Amérique latine est-elle le signe de sa volonté d’accorder davantage d’importance à cette région ?

Gaspard Estrada : Oui très clairement. François Hollande s’est déjà rendu plusieurs fois en Amérique latine : au Brésil, au Mexique et à Cuba notamment. Et la tournée actuelle au Pérou, en Argentine et en Uruguay illustre bien cette remise à niveau des relations de la France avec l’Amérique latine. C’est une zone où il est plus clair et plus simple de différencier la politique étrangère de Nicolas Sarkozy et celle de François Hollande. Jusqu’à présent, l’Amérique latine était l’oubliée de la France. Elle est désormais entrée dans son radar.

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Pourquoi l’Amérique latine n’était-elle pas davantage considérée par Paris ces dernières années ?

C’est un continent qui n’est pas en crise, où il n’y a pas de guerre ou de conflit majeur. La démocratie y est globalement bien installée et il y a peu de risque terroriste. Donc pour la France, qui est empêtrée dans les urgences du monde en raison de son statut de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, l’Amérique latine n’est pas en tête de ses priorités, contrairement au Moyen-Orient ou à l’Afrique par exemple. Il y a aussi la distance géographique qui joue certainement un rôle. Enfin, cela tient également à la personnalité des présidents puisque la politique étrangère de la France se fait d’abord et surtout à l’Élysée.

Justement, François Hollande s’inscrit-il dans la lignée du général de Gaulle et de François Mitterrand ?

Ces deux présidents ont effectivement été ceux qui ont accordé le plus d’importance à l’Amérique latine. De Gaulle y a fait une grande tournée en 1964 et souhaitait lancer un grand programme qui aurait été le contrepoids de l’Alliance pour le Progrès lancée par John Kennedy en 1961. Entre les États-Unis et l’Union soviétique, la France souhaitait offrir une troisième voie à l’Amérique latine. Cette initiative a toutefois pris l’eau parce que Paris n’avait pas les moyens de son ambition et que de nombreux pays ne souhaitaient pas se mettre à dos les États-Unis. C’est aussi à partir de cette période que les dictatures militaires sont arrivées.

Quel rôle a joué François Mitterrand ?

Les mandats du premier président socialiste de la Ve République ont représenté le deuxième grand moment dans les relations diplomatiques entre la France et l’Amérique latine. Après le coup d’État contre Salvador Allende au Chili en 1973, beaucoup d’exilés chiliens se sont installés en France et ont intégré les milieux socialistes. François Mitterrand était donc particulièrement sensible aux questions liées à l’Amérique latine et avait la volonté d’être solidaire avec les peuples de cette région. Cela s’est notamment traduit par l’initiative politique franco-mexicaine en faveur de la résolution du conflit au Salvador qui a été importante pour aboutir aux accords de paix. Mais après il y a eu une perte d’intérêt. Jacques Chirac a fait deux déplacements dans la région en 1997 et 1998 sans réelle impulsion politique. Même chose pour Nicolas Sarkozy qui n’était intéressé que par le Brésil pour vendre des Rafale et par le Mexique en raison de l’affaire Florence Cassez.

Comment se manifeste concrètement aujourd’hui la volonté de François Hollande de se rapprocher de l’Amérique latine ?

Avec son déplacement à Cuba, il a pu montrer qu’il pouvait prendre des initiatives politiques. Il a été le premier chef d’État occidental à se rendre sur l’île depuis l’annonce du dégel des relations entre La Havane et Washington. C’est un coup politique qui n’est pas passé inaperçu. Barack Obama a d’ailleurs annoncé son voyage à Cuba et en Argentine le jour où il y avait un briefing à l’Élysée sur la tournée de François Hollande en Amérique latine. Mais à côté des visites officielles, il y a surtout le développement des partenariats et des accords au niveau économique, scientifique et culturel. L’annonce du lancement de France 24 en espagnol est également une illustration de cette volonté politique. François Hollande fait usage du "soft power" en étendant la voix de la France dans la région. Enfin, le président a conscience qu’il y a des opportunités économiques à saisir pour les entreprises françaises. L’arrivée au pouvoir de Mauricio Macri en Argentine, qui souhaite attirer les investisseurs étrangers, en est un bon exemple.