Pourquoi des médias pro-Kremlin affirment que les agressions de Cologne ont été commanditées par la CIA ou que Berlin fait taire ceux qui critiquent les réfugiés ? Les services de renseignement allemand enquêtent sérieusement sur cette question.
Poutine a-t-il chargé ses espions de faire souffler un vent de guerre froide en Allemagne ? Pour le savoir, le BND, le service de contre-espionnage allemand, a été chargé d'enquêter sur une éventuelle campagne de propagande anti-allemande orchestrée par le Kremlin. “La chancelière Angela Merkel et le président [Joachim Gauck] sont personnellement intéressés par la réponse”, affirme le très sérieux quotidien “Sueddeutsche Zeitung”, le 18 février.
Le président russe, Vladimir Poutine, est soupçonné par des agents du renseignement allemands interrogés par la “Sueddeutsche Zeitung” et les chaînes de télévision NDR et WDR de vouloir “semer des graines de discorde en Europe en fragilisant l’Allemagne et Angela Merkel”. "Nous suivons de près la hausse d'activité médiatique en Russie actuellement", s'est contenté de déclarer Christiane Wirtz, porte-parole du gouvernement.
Exagérations et théories farfelues
Ainsi, la crise des migrants aurait fourni à la propagande russe une parfaite occasion de démontrer que Berlin “est incapable d’arrêter la déferlante qui s’abat sur le continent”, analyse la radio “Deutschland Radio Kultur”.
Les agressions sexuelles qui ont eu lieu à Cologne dans la nuit du Nouvel An ont, à cet égard, ouvert un boulevard aux exagérations et théories farfelues de certains médias russes. La chaîne privée russe Ren-TV a ainsi ajouté des images d’archives des violences place Tahrir (en Égypte) à un reportage sur les événements de Cologne pour donner l'impression d'une ville envahie par des immigrés d'origine arabe.
Encore plus fort : la CIA ne serait pas étrangère à ces événements d’après certains sites russes, qui ne reculent pas devant la première théorie du complot venue. Selon eux, l’agence de renseignements américaine aurait recruté des drogués chargés de participer aux violences en se faisant passer pour des musulmans, rapporte la “Sueddeutsche Zeitung”. Les espions américains les auraient ensuite récompensés avec de l’héroine.
Mais il n’y a pas que les médias russes qui s’en donnent à cœur joie. Des publications “pro-kremlin” en République tchèque ont démontré qu’ils avaient une imagination tout aussi débordante, note le Service européen pour l'action extérieure, qui est l’équivalent du Quai d’Orsay à Bruxelles. Leur lettre d’information hebdomadaire sur la désinformation russe dans les médias en fourmille d’exemples. Ainsi cette note de veille cite le site aeronet.cz qui soutient que Berlin aurait conclu un accord avec Facebook et Twitter pour effacer toute mention négative à l’égard des migrants afin d’empêcher la diffusion de messages concernant des agressions commises par des réfugiés. Le même site affirmait déjà, fin décembre 2015, que l’Allemagne envisageait des sanctions, y compris militaires, contre les pays européens qui ne laissaient pas passer les réfugiés.
Manifestations de russes allemands
Mais l’exemple le plus frappant est la fausse vidéo que les médias russes avaient fait circuler laissant penser que des réfugiés ont enlevé et violé Lisa, une allemande d’origine russe, fin janvier. La vidéo était non seulement fausse, comme l’a démontré le site des Observateurs de France 24, mais le parquet allemand a pu établir que la jeune fille avait inventé toute l’histoire.
Des divagations qui peuvent trouver leur public dans les pays de l'ancienne sphère soviétique. Mais en Allemagne ? D’après la chaîne NDR, elles n’ont que peu de chance de convaincre le public allemand. Il est à noter que la population russe qui vit sur place, et a donc accès à ces publications via Internet, a déjà organisé plusieurs manifestations pour demander des mesures plus strictes contre les migrants.
La tâche des services de renseignements est de déterminer si ces élucubrations sont le fait d'amateurs de théories du complot ou si ces médias sont en mission commandée pour le Kremlin. “Ce n’est pas évident de trouver des preuves matérielles dans ce genre de cas”, assure à la “Sueddeutsche Zeitung” un haut gradé du service de renseignements. Mais il existe, selon lui, une question encore plus complexe : si la responsabilité de Moscou est établie, comment réagir ?