L'arrestation le 29 janvier au Burundi de deux journalistes du Monde avait suscité une forte mobilisation internationale. Revenu à Londres, Phil Moore dénonce "l'oppression et l'intimidation" qu'exercent les autorités burundaises sur les médias.
Les deux envoyés spéciaux du journal Le Monde, Jean-Philippe Rémy et Phil Moore, arrêtés le 29 janvier au Burundi, l’avaient été en "compagnie de criminels armés", selon la police de Bujumbura. Relâchés 24 heures après leur arrestation après une mobilisation de leur média, mais aussi de diplomates et d’ONG, leurs accréditations leur avaient été retirées, et leurs téléphones, carnets, matériels d’enregistrement et de tournage confisqués.
Rentré à Londres depuis le 31 janvier, Phil Moore se dit sur son blog très préoccupé de l’état de la liberté d’expression dans ce pays d’Afrique centrale : "Bien que je sois très soulagé d'être libéré, notre arrestation donne un aperçu très troublant des tactiques employées par les forces de sécurité à travers Bujumbura. Notre détention a été brève, et nous n'avons pas été torturés. Malheureusement, ceci n'est pas le cas pour les Burundais qui sont ramassés chaque semaine, et pour certains qui disparaissent".
La situation des médias au Burundi est en effet très délicate : lors du coup d'état manqué en avril, la plupart des radios du pays, considérées comme proche des autorités comme Rema FM, ou plutôt critiques avec le pouvoir en place, comme la RPA ou Bonesha FM, avaient été détruites. La quasi-totalité des radios n'ont pas repris leurs activités. D’autres journalistes d’investigation, très célèbres sur le continent africain comme Bob Rugurika, ont choisi de s’exiler pour éviter des représailles.
"Des déclarations fabriquées par rapport à la vérité"
La police burundaise, elle, estime que cette présence de journalistes étrangers arrêtés "pour la première fois" avec des "personnes en fuite" était "curieuse". La déclaration du porte-parole de la police, publiée sur Twitter le 3 fevrier, était accompagnée de photos des armes saisies durant ces arrestations, et des passeports des journalistes.
Phil Moore affirme quant à lui qu’il ne se trouvait pas avec des "criminels armés" au moment de son arrestation, et n’a pris aucune photo d’armes dans le quartier.
"Le fait que les autorités aient fait publiquement des déclarations si fabriquées m'inquiète par rapport à la vérité des [affirmations] qu'ils font par rapport à des problèmes beaucoup plus graves", s’inquiète Phil Moore.
S’il n’a pas subi de violences physiques, le photojournaliste explique qu’il n’a finalement été "inculpé de rien" et que les autorités n’ont pas "donné de raison officielle à l’arrestation".
Phil Moore espère que son aventure a permis de mettre en avant "une situation quotidienne" très peu médiatisée sur la scène internationale, dans un pays qui connait depuis avril 2015 une crise politique à la suite de l'annonce de Pierre Nkurunziza de vouloir briguer un troisième mandat, auquel il a accédé en juillet. Il résume : "Cette histoire envoie un message inquiétant à un espace médiatique qui est déjà très fragile et réduit".
En dix mois, les violences ont fait au moins 400 morts et poussé plus de 200 000 personnes à quitter le pays.