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Oxfam dénonce la trop forte concentration des fortunes entre les mains de 62 milliardaires

La fortune des 1 % les plus riches du monde dépasse, pour la première fois, celle des 99 % restant, d’après l'ONG Oxfam. Cette conclusion, fondée sur la comparaison des patrimoines, est cependant discutable.

Quel est le point commun entre les 62 personnes les plus riches au monde et les 3,6 milliards les plus démunies ? La fortune des premiers est équivalente à celle de la moitié la plus pauvre de l’humanité, annonce l’ONG de lutte contre la pauvreté Oxfam dans son rapport sur les inégalités publié lundi 18 janvier.

Cette comparaison choc a été largement reprise par les médias pour illustrer des inégalités grandissantes, dénoncées par Oxfam. Ce ne sont pas seulement ces 62 multimilliardaires qui sont dans le collimateur de l’association. Le patrimoine des 1 % les plus riches dépasse celui des 99 % restants pour la première fois en 2015. Pour faire partie de ces “happy few”, il suffit d’être propriétaire d’un grand appartement à Londres ou Paris (d’une valeur de plus de 700 000 euros).

Kerviel, l’homme le plus pauvre ?

Ces deux exemples sont d’autant plus frappants que les écarts se sont creusés ces dernières années, d’après Oxfam. “La fortune des 62 plus riches a augmenté de 44 % depuis 2010 tandis que celle de la moitié la plus pauvre de l’humanité a chuté de 41 % sur la même période”, soulignent les auteurs du rapport.

L’étude d’Oxfam, basée sur “l’almanach 2015 de la richesse globale” du Credit Suisse, “a le mérite d’attirer l’attention sur la question de la concentration et la répartition des richesses”, souligne Vincent Touzé, économiste spécialiste des questions sociales et fiscales pour l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Mais, pour cet expert, l’association n’a pris en compte que l’un des facteurs permettant de calculer l’évolution des inégalités : la fortune patrimoniale.

Il en démontre les limites. “Les comparaisons de patrimoines sont intéressantes mais difficiles à faire et parfois approximatives”, prévient cet économiste. La richesse des plus pauvres - les biens d’équipement sont-ils tous recensés, la mise en commun de certaines ressources comme les voitures est-elle prise en compte ? - est aussi difficile à évaluer que celle des plus fortunés qui cachent parfois une partie de leurs avoirs dans des paradis fiscaux.

Mesurer les inégalités par le prisme du patrimoine peut aussi donner lieu à des “situations absurdes”, note l’économiste français. Ainsi, Jérôme Kerviel, avec une dette de plus de quatre milliards d’euros, est l’homme le plus pauvre du monde. Mais est-il réellement plus à plaindre qu’un laissé-pour-compte au Malawi (pays le plus pauvre au monde) ?

Classes moyennes chinoises

Le patrimoine n’est, en outre, pas forcément le critère le plus pertinent pour évaluer l’aisance financière d’une personne. “Le pouvoir d’achat et le niveau de vie d’une personne dépend généralement davantage des revenus que du patrimoine accumulé”, souligne Vincent Touzé. Une personne peut, en théorie, avoir un portefeuille impressionnant d’actions et être propriétaire de son appartement tout en étant au chômage et sans revenus fixe.

La comparaison des revenus au niveau mondial donne d’ailleurs une autre image des inégalités. Elles sont certes fortes, mais la situation n'a pas empiré. En 2008, les mieux payés gagnaient, en moyenne, 95 fois plus que ceux dont les revenus étaient les plus bas. Ce rapport est passé à 84 en 2011.

Le cri d’alarme d’Oxfam passe aussi sous silence d’autres aspects de l’évolution de la richesse mondiale. En octobre 2015, “la banque mondiale annonçait qu’il y avait pour la première fois moins de 10 % de la population mondiale qui vivait dans l’extrême pauvreté, contre 13 % en 2012, ce qui implique une amélioration générale de la situation”, rappelle Vincent Touzé.

Pour Pascal de Lima, économiste en chef du cabinet de conseil EcoCell, ce rapport se focalise trop sur les 1 % les plus riches et sur les plus pauvres. Oxfam ne prend pas en compte “la montée en puissance des classes moyennes dans les grands émergents comme la Chine ou l’Inde, ce qui traduit une amélioration générale du niveau de vie dans ces pays”, souligne-t-il.

Il note aussi que les fameux 1 % “ne sont plus comme dans les années 90 une caste immuable”. En comparant les données de différents classements des grandes richesses pour un ouvrage à paraître sur les inégalités, Pascal de Lima a constaté qu’“une personne sur deux dans le top 500 des grandes fortunes changeait d’une année sur l’autre”. En d’autres termes, si les inégalités sont très fortes, le club des grandes fortunes n’est pas aussi fermé que par le passé.

Les conclusions d’Oxfam ne sont peut-être qu’un aspect parmi d’autres du débat sur les inégalités. Mais elles n’en sont pas moins frappantes d’un autre point de vue. “La grande concentration des richesses entre quelques mains pose un problème de démocratie économique”, juge Vincent Touzé. En d’autres termes, le pouvoir politique peut-il encore imposer une ligne qui irait à l’encontre des intérêts de ces quelques grands fauves économiques ?