envoyée spéciale au canal Saint-Martin – Pour la seconde fois en quatorze ans, le canal Saint-Martin, qui traverse le nord-est de Paris, sera vidé pendant trois mois de ses 90 000 m3 d’eau pour une vaste opération de nettoyage et de rénovation de ses fonds et ses écluses.
"On peut vider !", crie un opérateur casqué en levant la main. Harnaché dans un scaphandrier, un plongeur vient de finir d'ajuster, lundi 4 janvier au matin, les dernières cales du "batardeau" qui fait office de barrage entre le bassin de la Villette et le Canal Saint-Martin, dans le nord-est de Paris. Au signal, Joseph Tomasi, éclusier parisien depuis plus de 25 ans, ouvre les trappes de l’écluse de la Villette qui déverse des milliers de litres d’eau, vidant le sas en moins de dix minutes. L’opération de vidange - dite de "chômage" - du canal Saint-Martin vient de commencer.
Du 4 janvier 2016 au 4 avril, cette artère fluviale qui coule du bassin de la Villette au bassin de l'Arsenal, va être complètement vidée du ses eaux pour nettoyage, rénovation et réparation. L’opération d’envergure coûte 9,5 millions d’euros à la Ville de Paris. Un investissement important mais indispensable pour préserver et moderniser le canal commandé en 1804 par Napoléon Bonaparte pour approvisionner la capitale en eau potable et acheminer des marchandises.
"Cette opération est menée en moyenne tous les 12 à 14 ans et elle est nécessaire pour dévaser, nettoyer, consolider les sols et les parois du canal et rénover et moderniser les écluses usées par le temps", explique à France 24 Célia Blauel, maire adjointe de Paris chargée de l’environnement, du développement durable, de l’eau et des canaux.
Plus de quatre tonnes de poisson
Lundi 4 janvier au matin, un barrage étanche en acier a donc été posé côté bassin de la Villette, en amont du canal, pour une vidange partielle. "À la fin de la journée, le canal sera complètement vidé et il ne restera que 50 centimètres d’eau pour faciliter la pêche de sauvegarde", précise Julien Gaidot, conducteur de l’opération de chômage pour la Ville.
Avant la vidange totale du canal et de ses écluses, prévue pour le 7 janvier, une dizaine de personnes collecteront les 4,5 tonnes de poissons afin de les relâcher dans la Seine après recensement et diagnostic. "Ça va faire une belle pêche !", se réjouit Joseph, heureux comme un enfant de retrouver, exceptionnellement, "le terrain".
Depuis 2008, les écluses sont commandées électroniquement depuis une centrale installée sur le canal Saint-Denis, qui relie le bassin de la Villette à la Seine. Un gage de modernité pour Paris mais qui fait regretter à Joseph le "bon vieux temps" où il régnait en maître sur son écluse du bassin de la Villette. "On connaissait les habitants du quartier, certains nous apportaient les croissants, on était au cœur de la vie parisienne", se souvient l’éclusier de 60 ans, personnage d'un Paris d'antan semblant droit sorti de l’"Hôtel du Nord", film de Marcel Carné réalisé sur les berges du mythique canal.
Les trésors du canal
Le canal Saint-Martin est aujourd'hui une promenade prisée des Parisiens qui s’y agglutinent dès le retour des beaux jours pour apéros, pique-niques, concerts improvisés et promenades familiales le dimanche, quand ses berges sont fermées à la circulation. En attestent les tonnes de "trésors" et autres curiosités retrouvés dans ses bassins.
"Le Canal Saint-Martin, c’est comme la Samaritaine d’avant : on trouve de tout !", s’amuse Joseph Tomasi. Lors de la précédente opération de chômage, en 2001, 40 tonnes de déchets et objets ont ainsi été mis au jour : des vélos en pagaille, des motos, des baignoires, des caisses vides, des armes, mais aussi des pièces d’or et deux obus datant de la Première Guerre mondiale. Cette année, les opérateurs des travaux s’attendent à ajouter au butin des carcasses de vélib’, des scooters et des montagnes de canettes de bières. "Et je ne vous parle pas des cadavres d’animaux !" ajoute Joseph, en pointant un rat de la taille d’un furet qui se faufile le long de l’écluse.
Célia Blauel insiste pourtant sur la propreté du canal, désormais affecté à la navigation touristique et au loisir nautique. "À terme, on travaille à rendre le bassin de la Villette propre à la baignade", assure l’adjointe au maire qui espère que ce projet verra le jour d’ici trois ans. Les Parisiens n’ont d’ailleurs pas attendu le feu vert des autorités locales pour piquer une tête dans le canal : des dizaines de personnes se sont baignées lors des journées de canicule qu'a connues la capitale l’été dernier.
Joseph, lui, ne s’est jamais jeté à l’eau. "On ne voit pas à plus de 25 cm là-dessous", précise-t-il avec une moue sceptique. Il préfère la Méditerrannée de sa Corse natale où il retournera dans quatre ans, pour une retraite attendue mais voulue, comme son métier, "au plus près de l’eau".