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Le décès du rebelle salafiste Zahrane Allouche porte un coup au processus de paix

Le chef rebelle salafiste Zahrane Allouche, maître de la Ghouta orientale en Syrie, a été tué le 25 décembre. L’homme, ennemi de Bachar al-Assad et de l’EI, représentait pour certains un espoir pour la mise en place du processus de paix.

À l’heure où l'on espère encore des négociations de paix en Syrie, c'est le fantôme d'un éminent chef rebelle qui plane déjà sur les pourparlers à venir. Zahrane Allouche, chef de Djaïch al-Islam [Armée de l’islam, NDLR], l'un des plus puissants groupes insurgés du secteur de la Ghouta orientale, a été tué dans un raid aérien revendiqué par le gouvernement syrien vendredi 25 décembre. Une disparition qui rebat les cartes tant elle pourrait porter un coup sévère à la mainmise des rebelles sur cette région rurale, située aux portes de Damas, la capitale syrienne.

Au milieu du chaos et du casse-tête que représentent les alliances et les oppositions entre les groupes armés en Syrie, Zahrane Allouche, 44 ans, incarnait une ligne claire : ni Bachar al-Assad, ni organisation de l’État islamique (EI). Soutenu par l’Arabie saoudite, ce fils d’un imam salafiste était parvenu, grâce à des financements de Riyad et à son autorité, à prendre le contrôle de la région de la Ghouta orientale. Au fil des mois, il avait rassemblé sous sa bannière – celle de l’Armée de l’islam – de nombreuses factions rebelles fascinées par sa stature de chef de guerre. Selon des estimations, son groupe était composé de 45 000 combattants. Repoussant de son territoire à la fois les forces de l’EI et les soldats du régime d’Assad, Zahrane Allouche maintenait d’une main de fer son emprise sur sa Ghouta orientale natale – jusqu’à être dépeint par certains comme un petit dictateur – et contrôlait un vaste réseau de tunnels servant à l’approvisionnement de cette zone menacée par la famine.

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Dans un rapport d’août 2015, Amnesty International parlait de 163 000 personnes prises au piège dans cette zone. Mais Zahrane Allouche, lui, parvenait à contourner ce siège. Loin de se cantonner aux limites de la région, le chef rebelle issu d’une célèbre famille de Douma allait et venait entre la Turquie et l’Arabie saoudite, via des "routes secrètes" comme il l’avait indiqué dans une interview accordée en décembre 2015 au site américain The Daily Beast.

Un rebelle "modéré" enclin aux négociations

"C’était une personnalité très importante. Sa mort peut avoir un impact sur les négociations de paix", explique Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste des groupes jihadistes. La résistance féroce de ce personnage charismatique contre les forces de l’EI et celles loyales au régime lui avait en effet valu d’être considéré par les Occidentaux comme un interlocuteur de choix pour d’éventuelles négociations de paix.

Début décembre 2015, son groupe avait été l’une des plus importantes formations d’opposition à signer l’accord saoudien, lequel prévoit un cadre de négociations avec le régime, tout en exigeant le départ de Bachar al-Assad avant une éventuelle période de transition. Des pourparlers sous l’égide de l’ONU doivent se tenir à partir du 25 janvier.

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"Nous pensons qu'assassiner Zahrane Allouche ou combattre des dirigeants qui soutiennent une solution de paix et luttent contre Daech [autre nom en arabe de l’EI, NDLR] en Syrie ne sert pas le processus de paix dans ce pays", a pour sa part déclaré le chef de la diplomatie saoudienne, Adel al-Djoubeïr, le 29 décembre . "J'ignore pour quelle raison ils ont fait une chose pareille. Si nous voulons parvenir à une solution de paix en Syrie, nous devons traiter avec tous les groupes syriens qui n'ont pas trempé dans le terrorisme", a-t-il ajouté.

Après la mort d'Allouche, l'Armée de l'islam a publié des photos du défunt sur Twitter

Shiekh Zahran Alloush, Istanbul 2015 pic.twitter.com/zfE4mK7ZGm

— Army of Islam (@Islamarmy_eng2) 28 Décembre 2015

Pourtant, rien ne laissait présager un tel destin de diplomate à celui qui, au moment de l’éclatement du conflit syrien en 2011, était détenu pour possession d’armes dans la cruelle prison de Sednaya.

Discours anti-chiites et boucliers humains

De l’avis de la plupart des experts, Zahrane Allouche aurait à l’époque été libéré des geôles du régime - tout comme plusieurs autres détenus islamistes - dans le but inavoué de favoriser l’émergence de la radicalisation et la militarisation de la révolution, alors pacifique, contre Assad. Une stratégie visant à manipuler le conflit et à créer un scénario "terroristes contre gouvernement", duquel le président syrien sortirait comme le moins pire.

Figure controversée, Zahrane Allouche s’était illustré par des diatribes enragées contre les chiites et les alaouites, la minorité dont est issu le clan Assad. Il avait prôné l’instauration d’une théocratie basée sur la charia et même exhibé en place publique des prisonniers alaouites enfermés dans des cages et utilisés comme boucliers humains. Les idées de cet islamiste nationaliste n’étaient alors pas si éloignées de celles du Front al-Nosra.

Shiekh Zahran Alloush on tour of inspection, Qalamoun 2013 pic.twitter.com/FYchDSoiBW

— Army of Islam (@Islamarmy_eng2) 28 Décembre 2015

Quelques années plus tard, le maître de la Ghouta orientale expliquait cependant au Daily Beast être entré depuis en désaccord avec les conseillers du groupe affilié à al-Qaïda, pointant des divergences d’opinion à la fois idéologiques et intellectuelles.
Une ligne que le successeur désigné peu après sa mort, Abu Humam Bouidani, s’est engagé à respecter. Dans le discours qu’il a prononcé peu après sa nomination, il a affirmé que l’Armée de l’islam resterait "modérée".

Toutefois, certains analystes craignent une explosion de ce groupe jusque-là articulé autour de la figure centrale d’Allouche. Selon l’expert, Aymenn al-Tamimi, cité par l’AFP, la disparition du leader pourrait laisser le champ libre à des mouvements dont l'idéologie est plus extrême, tel qu’Ahram al-Cham, allié d’al-Qaïda.

Adapté de l'anglais par Charlotte Oberti