
Près d’un an après l’attaque terroriste du 7 janvier qui fit 12 morts dans les locaux de "Charlie Hebdo", le documentaire "L’Humour à mort" rend un touchant hommage aux victimes ainsi qu’à ceux qui essaient de perpétuer l’esprit du journal satirique.
"Qui est Charlie ?" Près d’un an après la tuerie perpétrée dans les locaux de l’hebdomadaire satirique, l’interrogation hante toujours les esprits. De nombreux commentateurs (éditorialistes, sociologues, historiens, etc.) se sont penchés sur la question sans réellement parvenir à apporter de réponses. Sans doute parce que leur champ d’investigation portait sur ceux qui se revendiquaient du journal et non sur ceux qui faisaient le journal.
Sorti en salles cette semaine, le documentaire "L’Humour à mort" se consacre exclusivement aux seconds. Ceux qui ont été tués le 7 janvier comme ceux qui ont réchappé au massacre. L’équipe de "Charlie Hebdo", le réalisateur Daniel Leconte la connaît bien pour l’avoir suivie lors du retentissant procès des caricatures de Mahomet que la réduction avait publiées en 2006. Le documentariste avait alors consacré un film à cette affaire : "C’est dur d’être aimé par des cons", dans lequel il suivait les audiences et interrogeait les protagonistes de l’époque.
"L’Humour à mort", co-réalisé avec le fils Emmanuel Leconte, réutilise une partie de cette matière qui, depuis les attentats de janvier, ont pris une tournure tragique. On y voit Charb, Cabu et Tignous, trois des dessinateurs tombés sous les balles des frères Kouachi, s’exprimant sur leur rapport avec la liberté d’expression, la caricature et l’intégrisme religieux. Pas une phrase prononcée lors de ces entretiens ne claque pas aujourd’hui comme une funeste prophétie. "En cas de pépin, je sais que des gens sont capables de se mobiliser pour la liberté d’expression", affirmait ainsi Charb après que l’hebdomadaire fut relaxé des accusations d'"injures publiques" envers les musulmans. Le pépin, on le connaît. La mobilisation aussi. Elle se manifesta dans toute la France lors de la grande marche du 11 janvier.
Réhabiliter "Charlie"
Tout aussi poignant : le récit que livrent les "rescapés" sur la matinée du 7 janvier. La dessinatrice Coco raconte sa culpabilité d’avoir ouvert, sous la menace d’une Kalachnikov, la porte aux terroristes. Riss, aujourd’hui directeur de la publication, se souvient qu’avant l’intrusion des terroristes en conférence de rédaction Tignous et Bernard Maris s’écharpaient gentiment sur les jeunes français partant au jihad. Éric Portheault, co-gérant de l’hebdomadaire, revient quant à lui sur la difficulté de composer avec une soudaine attention médiatique alors que "Charlie Hebdo" eut longtemps le sentiment d’être seul dans son combat pour le droit de moquer le fanatisme religieux.
Par ces témoignages posthumes et présents, on décèle évidemment chez Emmanuel et Daniel Leconte la volonté de réhabiliter "Charlie". On le sait, une fois passé l’émotion des attentats, le titre a dû faire face à un reflux de procès en irresponsabilité, en islamophobie ou en racisme, laissant entendre que l’hebdomadaire n’avait récolté que ce qu’il avait semé. En montrant des images d’archives, des professions de foi anciennes et des dessins d’époque, "L’Humour à mort" s’emploie à rendre hommage non seulement aux disparus mais aussi à l’esprit frondeur qui a de tout temps habité la ligne éditoriale du titre satirique. La rédaction dirigée par Charb n’a jamais agi par opportunisme ou je-m’en-foutisme rigolard, nous dit le documentaire, mais par conviction d’être un antidote à l’obscurantisme.
Moins revendicatrice, la deuxième partie du documentaire s’attarde plus longuement sur le profil des victimes. Soucieux de poursuivre un travail mémoriel interrompu par les polémiques post-attentats, les réalisateurs nous montrent les victimes dans ce qu’elles étaient au quotidien : une bande de joyeux drilles particulièrement friands de l’humour potache et gaulois. À ce titre, les scènes de soirées karaoké sont sûrement les plus touchantes (scoop : Cabu chantait faux). "Comment faire pour que ce qui est arrivé aux journalistes et dessinateurs de ‘Charlie Hebdo’ ne soit pas une invitation à se taire ?", s’inquiète Elisabeth Badinter, interrogée dans le documentaire. En redonnant aussi la parole aux victimes. Même la plus anodine.