
La finance pourrait être une victime collatérale de la lutte contre le rechauffement climatique. Sauf si ces acteurs s’adaptent à cette nouvelle donne. Du désinvestissement à la bulle carbone, explications des enjeux financiers de cette COP.
Pour le monde de la finance, le vert n’est pas forcément la couleur du dollar... mais plutôt de turbulences à venir. De plus en plus d’acteurs de ce secteur s’en rendent compte : 500 institutions, représentant 3 400 milliards de dollars d'actifs, ont désormais décidé de moins miser sur le charbon, le pétrole ou le gaz, a annoncé l’association de lutte pour une finance plus éco-responsable 350.org, mercredi 3 décembre à l’occasion de la COP21. Parmi elles, des banques comme Axa, des assureurs comme l’allemand Allianz ou encore des fondations comme celle de Bill Gates.
Elles anticipent ainsi les conséquences financières de la lutte contre le rechauffement climatique et la façon dont cette dernière altèrera leur manière de faire de l’argent. Car si les politiques décident de tout mettre en œuvre pour que la hausse de la température mondiale reste sous la barre des 2°C, il faudra utiliser beaucoup moins de charbon, de pétrole ou encore de gaz.
Après la bulle immobilière, la bulle carbone ?
Les réserves actuellement disponibles ne pourraient même plus être toutes utilisées et deviendraient des actifs bloqués, correspondant à 82 % du charbon, 49 % du gaz et 33 % du pétrole, d’après une étude à laquelle à participé la London School of Economics. Ces actifs bloqués, terme très à la mode en ce moment, pourraient faire plonger la valeur boursière des sociétés exploitant, produisant ou dépendant de ces énergies fossiles, leur valeur en Bourse reposant sur la taille de leurs gisements. Les analystes sont de plus en plus nombreux à pointer du doigt la "bulle carbone" - référence à la "bulle immobilière" qui avait provoqué la crise financière de 2008. Cette bulle serait la conséquence des acteurs qui continuent d'investir dans les matières fossiles comme si toutes les ressources pouvaient être encore exploitables.
Cette théorie de la dépréciation d'actifs pour cause climatique avait été formulée dès 2011, dans une indifférence quasi-générale, par le cercle de reflexion londonien Carbon Tracker. Pas facile d’accepter que les grands groupes pétroliers ou les pays gaziers comme le Qatar soient assis sur des ressources et des actifs qui risquent de perdre beaucoup de valeur si la lutte contre le rechauffement climatique faisait un vrai bond en avant. Mais l’idée a tout de même fait son trou. À tel point que le président de la Banque centrale d’Angleterre, Mark Carney, a mis en garde contre “le risque d’importantes pertes dues aux actifs bloqués” en septembre 2015.
“Qu’une personnalité aussi influente que Mark Carney - qui est aussi président du Conseil international de stabilité financière - reconnaisse ce risque a été un moment très important pour la finance verte”, souligne à France 24 Michel Lepetit, vice-président du cercle de reflexion pour la transition énergétique The Shift Project et co-fondateur de Beyond Ratings, une agence de notation qui prend en compte la contrainte environnementale.
Pour Mark Carney, l’impact financier de la lutte contre le rechauffement climatique va bien au-delà de la question des actifs bloqués. Comment les constructeurs automobiles, qui dépendent largement du pétrole, vont-ils s’adapter ? Un grand nombre d’autres secteurs, comme l’agriculture, devraient aussi être affectés. “Le gouverneur de la Banque d’Angleterre souligne le risque d'une multiplication d’actions collectives en justice contre des sociétés, au motif qu'elles connaissaient les conséquences de leurs émissions de CO2 et n’ont pas agi à temps”, prévient Michel Lepetit.
Vers une finance plus verte ?
Face à ces nuages verts qui s’accumulent, certains acteurs commencent à se spécialiser dans la finance verte. Ce sont, pour l’heure, “essentiellement des divisions spécialisées dans cette question au sein de grandes structures, comme les assurances ou les banques”, souligne Michel Lepetit. Ils doivent intégrer le risque climatique dans leurs opérations financières ou prêter en favorisant les projets qui peuvent avoir un impact climatique positif. “C’est encore une niche, mais appelée à grandir rapidement”, assure le spécialiste.
Le Nordic Environment Finance Corporation (Nefco) est l’un des pionniers de ces établissements tout entier tournés vers la finance verte. Cette banque publique, fondée en 1990 par la Finlande, le Danemark, la Suède et l’Islande, dispose d’un budget de près de 500 millions d’euros pour investir dans des projets qui réduisent la pollution. “Il peut s’agir d’éoliennes, de fermes bio ou encore de projets de traitement des déchets”, précise à France 24 Ash Sharma, conseiller au changement climatique de cette banque nordique. Surtout, assure cet expert, ces investissements rapportent. “Soutenir l’installation de parcs solaires dans des pays africains va évidement être profitable quand l’utilisation de cette énergie renouvelable sera plus importante”, assure-t-il.
La finance verte peut donc être profitable et ne pas s’y mettre peut être très risqué si la théorie des actifs bloqués s’avère juste. Pourquoi alors, comme le souligne l’économiste Nicholas Silver de la London School of Economic, une grande partie des investisseurs ne prennent pas en compte ces questions ? Parce que tant qu’il y a de l’argent à se faire avec les énergies fossiles, il y aura des profiteurs, a expliqué cet économiste lors d’une conférence sur les actifs bloqués en octobre 2015, d’où le risque de la “bulle carbone”. C’est pourquoi Michel Lepetit espère que les régulateurs, notamment européens, mettent la pression sur les acteurs du monde de la Finance. La COP21 pourrait être une occasion en or pour le faire.