
Les autorités françaises ont informé le Conseil de l’Europe qu'elles "dérogeraient à la Convention européenne des droits de l’Homme" du fait de l’instauration de l’état d’urgence. Une mesure prévue par la Convention.
La France va "déroger à la Convention européenne des droits de l’Homme" du fait de l’instauration de l’état d’urgence après les attentats de Paris. C'est ce dont les autorités françaises ont informé le Conseil de l’Europe de sa décision, indiquant à son secrétaire général, Thorbjorn Jagland, qu'un "certain nombre de mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence étaient susceptibles de nécessiter une dérogation à certains droits garantis par la convention".
Une initiative qui n’a rien de surprenant, selon Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et avocat. "La France ne fait qu’appliquer une mesure prévue par la Convention", indique-t-il à France 24. L’article 15 de cette Convention prévoit en effet la notification de cette dérogation lorsqu'en "cas de guerre ou d'autre danger public menaçant la vie de la nation", un État signataire "peut prendre des mesures dérogeant aux obligations" de la convention, sous réserve d'en informer le Conseil de l'Europe.
Certains des droits ne pourront tolérer de dérogation
"Les autorités françaises ont procédé de la même façon lorsque l’état d’urgence a été instauré en 1984 en Nouvelle-Calédonie, et en 2005 lors des émeutes en banlieue", rappelle l'avocat. Et de rappeler : "Cette dérogation n’empêchera toutefois pas la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) d’apprécier l’application des mesures en question sur des cas particuliers d’atteintes aux droits dont elle serait saisie".
Le Conseil de l’Europe a toutefois prévenu que la CEDH restait en vigueur en France, soulignant que certains de ces droits ne pourront tolérer de dérogation, notamment le droit à la vie, l'interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. De même, l'interdiction de l'esclavage et le principe affirmé à l'article 7 - pas de peine sans loi -, ne peuvent non plus faire l'objet de dérogations.
"La prorogation de trois mois de l’état d’urgence n’est pas justifiée"
Néanmoins Michel Tubiana ne cache pas son inquiétude. "La LDH n’a rien dit pendant les dix premiers jours, mais elle désapprouve la prorogation pour trois mois de l’état d’urgence qui n’est pas justifiée", déplore-t-il. "Je constate aujourd’hui ce que je craignais depuis le début : des mesures de plus en plus arbitraires de la lutte contre le terrorisme, on est passé aux musulmans, et ensuite au social, avec des mesures contre des militants, dans le cadre de la COP21 ".
Il fait notamment référence à l’assignation à résidence de Joël Demanjoud, un militant de la Coalition climat. Les autorités françaises ont également interdit des manifestations citoyennes autour de l’évènement international que Paris accueille à partir du 30 novembre, une interdiction qu’un groupe d’intellectuels a par ailleurs appelé à braver dimanche.
L'état d'urgence a été proclamé en France le soir des attentats meurtriers du 13 novembre à Paris et Saint-Denis. Prolongé jusqu'à fin février par le Parlement, il donne à la police de nouveaux pouvoirs, sans passer préalablement par un juge, notamment pour les perquisitions ou la surveillance électronique des personnes.
Le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a rappelé jeudi que l'état d'urgence n'était "pas l'abandon de l'État de droit parce que l'État de droit le prévoit". "Il faut faire très attention à la manière dont sont mises en œuvre les conditions de l'état d'urgence", avait souligné le ministre.