
Mieux encadrer les cartes bancaires prépayées est l’une des mesures phares du dispositif de lutte contre le financement du terrorisme, présentée par Bercy lundi. Anonymes, elles auraient permis aux terroristes de brouiller les pistes à Paris.
Les terroristes du 13-Novembre les auraient utilisées pour brouiller les pistes. Les cartes bancaires prépayées sont dans le collimateur du ministre des Finances Michel Sapin, qui a appelé, lundi 22 novembre, à mieux en encadrer l’usage. C’est l’une des mesures phares du nouveau plan d’action gouvernemental pour lutter contre le financement du terrorisme qui vient d’être présenté.
"À vous la liberté, la sécurité et la discrétion pour vos paiements." Ce slogan, en page d’accueil du site d’un des fournisseurs de cartes prépayées, a de quoi intéresser un terroriste, ou un criminel cherchant à dissimuler ses traces financières. Ces moyens de paiement sont, en effet, anonymes et ne sont pas adossés à un compte courant, contrairement aux cartes de crédit ou de débit traditionnelles auxquelles elles ressemblent pourtant physiquement comme deux gouttes d’eau. La plupart d’entre elles sont d'ailleurs adossées au réseau de paiement international Visa ou MasterCard. Elles sont apparues au début des années 1990 pour aider les personnes exclues du système bancaire ou les parents qui veulent fournir de l’argent de poche à leurs enfants pour des vacances à l’étranger.
Rechargeable par SMS
Le client peut acheter une de ces cartes chez un buraliste ou à un kiosquier (ou même en ligne), l’approvisionner avec du liquide et la remettre à une tierce personne qui peut régler ses achats ou retirer de l’argent à un distributeur sans exposer son identité. Certaines d’entre elles sont même rechargeables à distance par un simple SMS envoyé depuis un téléphone portable jetable.
"Ces cartes prépayées sont délivrées à l’étranger, pas très loin, et utilisées sur le territoire national, au hasard pour payer des chambres d’hôtel", a souligné, lundi, Bruno Dalles, le directeur de Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins, le bras armé de Bercy dans sa lutte contre la criminalité financière). Une manière de sous-entendre que les auteurs des attentats de Paris auraient réservé des chambres d’hôtel avec de telles cartes ?
L’anonymat disparaît, cependant, lorsque des sommes importantes sont en jeu. Il faut ainsi présenter une pièce d’identité pour l’achat de toute carte prépayée rechargeable créditée de plus de 2 500 euros. Celles qui ne sont pas rechargeables (aussi appelées jetables) sont plafonnées à 250 euros. La mesure préconisée par le gouvernement français est de rabaisser à 250 euros le seuil de “prise d’identité” pour tous ces moyens de paiement, d’après un communiqué du ministère de l’Économie.
Ces limitations montrent que l’anonymat conféré par ces cartes inquiétait déjà les autorités avant les attentats de Paris. Dans un rapport de juin 2013, le Groupe d’action financière internationale (Gafi), un organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d’argent, estimait qu’il fallait davantage contrôler l’utilisation des cartes prépayées qui, au même titre que le bitcoin ou le paiement par smartphone, pouvaient servir à recycler de l’argent sale. ll faisait déjà des recommandations similaires à la mesure souhaitée par le gouvernement français lundi.
Terroristes et faux papiers
Cette dernière est, par ailleurs, une redite de la proposition faite par Bercy en mars 2015 en réponse aux attentats contre “Charlie Hebdo” et l’Hyper Cacher et qui n’avait pas encore été transformée en texte de loi. Mieux : la directive européenne numéro 4 de lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent, présentée au Parlement européen en 2013, prévoit précisément de contrôler l’identité d’une personne qui veut acheter une carte prépayée d’une valeur de plus de 250 euros.
Cette idée plane sur l’Europe depuis un certain temps. Mais peut-elle être utile pour empêcher le mouvement terroriste de l’organisation de l’État islamique (EI) de financer des attentats en Occident ? Pas sûr. "Les contrôles d’identité n’empêchent pas un terroriste de présenter des faux papiers à un buraliste, par exemple, qui n’est pas forcément formé pour les détecter", estime Maxime Delespaul, avocat spécialiste du droit bancaire contacté par France 24.
Cet expert rappelle également que la loi, même renforcée, n’empêche pas d’acquérir plusieurs cartes prépayées. "Il suffit au terroriste de ne pas les acheter toutes au même endroit pour éviter d’éveiller les soupçons", précise ce juriste.
Lorsqu’il s’agit de flux financiers réellement importants, les criminels choisiront de toute façon des modes de paiement "comme le bitcoin plutôt que ces cartes qui ne concernent que des transactions d’un montant modeste", remarque Maxime Delespaul. Au final, craint-il, cette nouvelle mesure risque seulement d’obliger les terroristes ou criminels à s’adapter à la marge.