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Le stress après les attentats : "Il est normal d’avoir peur raisonnablement"

Après les attentats de Paris, les victimes et les témoins des évènements risquent de développer des symptômes traumatiques, selon Jean-Pierre Bouchard, psychologue et criminologue. Une réaction normale qui peut devenir chronique.

Près d’une semaine après les attaques les plus meurtrières que la France ait connues depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la vie a repris son cours dans les rues de la capitale française. Mais comment gérer les effets traumatiques de ces attentats ? Réponses de Jean-Pierre Bouchard, psychologue et criminologue, spécialiste des agresseurs et des victimes.

France 24 : Quels sont les risques psychologiques encourus par les victimes ou les témoins des attentats ?

Jean-Pierre Bouchard : Dans un premier temps, les victimes ou les témoins de cet évènement vont tous développer de façon involontaire ce qu’on appelle un syndrome de répétition traumatique : elles vont repenser à ce qu’il s’est passé, réentendre les bruits constitutifs de l’évènement (bruits de balle, souffle des personnes), se remémorer les mêmes odeurs et les sensations physiques, comme par exemple le sang chaud des autres collés sur eux. Cela peut être perturbant dans la vie sociale et dans la vie intime.

Des troubles de l’endormissement peuvent surgir et les personnes affectées vont être sujettes à des cauchemars de répétition traumatiques. Des changements de comportement (irritabilité, agressivité) peuvent se manifester chez les personnes exposées.

Dans un second temps, entre en compte le facteur de vulnérabilité personnelle, qui déterminera le retour plus ou moins rapide à un comportement normal. Par ailleurs, les personnes qui ont aidé des victimes durant les attaques ont plus de chances de s’en sortir rapidement que celles qui sont restées sidérées, car elles se sont focalisées sur une action positive durant l’évènement traumatique.

Au-delà d’une période de trois mois, si les syndromes de répétition traumatique persistent, on considère que cela devient un état de stress post-traumatique chronique, et à ce moment-là, il faut consulter.

Le risque de traumatisme concerne-t-il uniquement les victimes ou les témoins de évènements ?

Non, la population toute entière vient d’être confrontée à ce que j’appelle un terrorisme de proximité. L’impact des attaques de Paris est extrêmement grave et extrêmement important. Le degré de traumatisme des personnes va dépendre de leur proximité physique avec l’évènement et de leur relation avec les victimes.

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Toutefois, certains individus, même loin des lieux touchés, peuvent se traumatiser eux-mêmes en regardant le feuilleton télévisé des événements. Cela peut également réveiller d’anciens traumatismes liés à des situations différentes.

D’ailleurs, on remarque des comportements symptomatiques d’une peur collective : mardi matin, il y a eu un pic d’embouteillages sur les routes en Île-de-France [deux fois plus de kilomètres de bouchons cumulés comparé à un jour habituel, NDLR], les gens ont eu peur des transports collectifs et ont préféré le confort rassurant de leur voiture. C’est normal à condition que cela ne devienne pas paralysant.

Peut-on faire des parallèles avec des situations de guerre ?

On retrouve les mêmes genres de traumatismes que dans une situation de guerre. Les militaires, même s’ils sont entraînés, peuvent être sujets à ces symptômes. Cependant, dans une guerre classique, il y a deux fronts distincts, on sait où est l’ennemi, ce qui n’était pas le cas lors des attaques de Paris. De plus, vendredi dernier, les victimes étaient civiles, non entraînées et prises par surprise.

On lit ça et là des messages comme "même pas peur", "on continue à sortir". Faut-il faire taire notre peur ?

Les gens ont la sensation qu’en étant regroupés ils sont plus forts et invulnérables. Mais il faut faire attention aux effets de panique [dimanche 15 novembre, deux jours après les attentats, une vague de panique créée par l’explosion d’une ampoule et des rumeurs de coups de feu a traversé plusieurs arrondissements de Paris, NDLR].

Il faut rester normal. Il est compréhensible d’avoir peur de façon raisonnable. Il ne faut pas être dans l’angélisme, ni dans le déni : on ne peut pas dire que ce genre de choses ne se reproduira pas, mais statistiquement il y a très très peu de risques d’être concerné par un attentat.