
En 15 jours, l'EI a revendiqué trois attentats : le crash de l'avion russe dans le Sinaï, l'attentat à Beyrouth et les attaques à Paris. L’organisation semble élargir son champ d’action. Doit-on y voir un changement de stratégie? Décryptage.
En l’espace d’une quinzaine de jours, l’organisation de l’État islamique (EI), a revendiqué trois attentats majeurs hors des frontières de ce qu’elle appelle son "califat". Le bilan de ces attaques est particulièrement lourd : le 31 octobre, un avion russe transportant 224 passagers s’est écrasé dans le Sinaï ; jeudi 12 novembre, 43 personnes ont été tuées dans un double attentat à la bombe au Liban ; le lendemain au moins 129 personnes étaient abattues à Paris au cours de plusieurs attaques simultanées.
Une démonstration pour le moins spectaculaire de la puissance de l’EI, qui n’avait toutefois pas l’habitude d’agir en dehors de sa zone d’influence.
Alain Rodier ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est notamment chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée. Selon lui, ce déchaînement de violence peut s’expliquer notamment par le fait que l’organisation jihadiste subit des revers en Irak et en Syrie où elle fait face à l’intensification des frappes aériennes de la coalition menée par les États-Unis, mais aussi de la Russie. Le secrétaire d'État américain John Kerry a d'ailleurs affirmé mardi 17 novembre que l'EI perdait des territoires et que la stratégie occidentale de lutte contre l'organisation portait ses fruits.
France 24 : Avec le crash de l’avion russe, les attentats d’ampleur de Beyrouth et de Paris, l’EI semble élargir son champ d’action en sortant des limites de sa zone d’influence. Pourquoi ?
Alain Rodier : Jusqu’à maintenant Daech [autre appellation de l’EI en arabe], ne se livrait pas à ce type d’action car son souci principal était, contrairement à Al-Qaïda, la conquête territoriale. Ils cherchaient à consolider leur État qu’ils appellent califat, à cheval entre l’Irak et la Syrie. Ils cherchaient également à étendre leurs provinces, qu’ils appellent Wilayat, ces zones où des groupes leurs ont prêté allégeance, comme l’Afghanistan, le Sinaï, la Libye ou le Nigeria par exemple. Mais depuis un peu moins d’un an environ, Daech ne progresse plus en Irak et en Syrie comme par le passé. Attention, cela ne signifie pas du tout que l'organisation est en passe d'être vaincue. Mais il n’est plus en "odeur de victoire", en progression. Les frappes de la coalition et de la France ont, malgré toutes les critiques qu’elles ont essuyées, participé à casser la dynamique de Daech. Or, cela affecte son aura, et l’afflux des jidahistes dont l’organisation dépend. J’ai pu apprendre des services de renseignement belges que le flot de combattants partant rejoindre Daech avait été divisé par deux depuis début 2015. Il lui fallait donc faire quelque chose.
Peut-on en conclure que nous assistons à un tournant dans la stratégie de l’EI ?
Oui. Tout a commencé le 31 octobre avec l’avion russe. Mais attention, cette nouveauté ne signifie pas qu’ils ne se battent plus sur le terrain. Au contraire, en Irak et en Syrie, leur stratégie est la même. Il y a d’ailleurs en ce moment des combats phénoménaux qui les opposent aux forces d’Assad et à ses milices alliées dans la région d’Alep, dont ils sont repoussés. On peut aussi s’attendre d’ici peu à une bataille pour reprendre la ville de Palmyre aux jihadistes. Ils ne sont donc plus à l’offensive, mais à la défensive, voire à la contre-offensive puisqu'ils gagnent du terrain, dans la province de Hama.
Il semble toutefois qu’il ait été décidé - on ignore quand - de passer à des opérations de masse à l’extérieur. Pour plusieurs raisons : en premier lieu pour faire payer les frappes, se venger, mais aussi et surtout pour rester sur le devant de la scène et continuer à devancer Al-Qaïda. L’EI est telle une bête blessée : d’autant plus furieuse.
Peut-on dire que l’EI se rapproche du mode opératoire d’Al-Qaïda ?
Avec ces actions, oui, car le but est bien de terroriser leurs ennemis qu’ils considèrent comme impies. On peut noter qu’ils ont plus d’efficacité encore qu’Al-Qaïda, puisque malgré toutes ses tentatives, Al-Qaïda n'a encore jamais réussi à faire exploser un avion.