
Lors des municipales de mars 2014, l’écologiste Éric Piolle arrachait Grenoble, la "capitale des Alpes", au parti socialiste. Dix-huit mois plus tard, il revient pour France 24 sur son bilan et ses objectifs. Entretien exclusif.
Ancien cadre dirigeant de Hewlett-Packard, Éric Piolle, 42 ans, a été élu contre toute attente à la mairie de Grenoble en mars 2014, devenant le premier Vert à se hisser à la tête d'une ville de plus de 150 000 habitants. Entourée d’une équipe composée de représentants d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), du Parti de gauche (PG) et de collectifs citoyens, cet ambitieux écolo tente de mettre en place la "troisième révolution urbaine".
France 24 : Quel est l’acte politique le plus important que vous ayez accompli depuis votre élection ? Quel est le défi majeur qu’il vous reste à relever ?
Eric Piolle : Certaines mesures, comme la suppression de la publicité sur l’espace public, ont fait le tour du monde. Mais pour moi, la plus belle réussite est celle de porter un espoir nouveau. Tout le monde a bien compris que nous sommes face à l’émergence d’un nouveau modèle.
Qu’il s’agisse du plan local d’urbanisme, du développement du bio dans les cantines, des déplacements, de la place de la nature en ville ou de la volonté de pas augmenter les impôts locaux, nous tentons de mettre en œuvre une action cohérente. Nous cherchons à trouver des solutions et à résoudre les causes des dysfonctionnements sociaux, environnementaux et économiques. Les trois vont de paire.
La cohérence reste donc notre plus grand défi. Car évidement, nous mettons notre action en place à un moment où la politique récessionniste de l’État est énorme. Par ailleurs, en mars 2014, Grenoble était la ville de plus de 100 000 habitants la plus en difficulté financièrement de France. La transformation nécessite du temps mais nous devons faire avec la baisse des dotations de l’État et donc baisser massivement nos budgets, soit 9 % en 3 ans, du jamais vu dans l’action publique !
Que répondez-vous aux chefs d’entreprises qui estiment que la surenchère de mesures environnementales risque de mettre à mal l’économie ?
Nous nous sommes réconciliés avec les entrepreneurs. Ils sont également citoyens, frappés eux aussi par le dérèglement climatique, inquiets pour leurs enfants, leurs familles. Ils sont également touchés par les inégalités et la violence du monde libéral. Ils n’ont pas deux vies déconnectées : ils sont citoyens et chefs d’entreprises.
Les entrepreneurs perçoivent qu’il y a des opportunités extrêmement fortes dans ce nouveau modèle, plus en réseaux, moins jacobin et moins centralisé. Ils savent par exemple que la réhabilitation du bâti est plus pourvoyeur d’emplois que la construction du neuf, de même que le recyclage ou les circuits court [alimentaires] qui sont plus à même de créer des emplois localement.
Néanmoins, les commerçants ont récemment claqué la porte des Assises citoyennes de Grenoble. Entre autres choses, ils s’opposent à la conversion d’un axe majeur de la ville en piste cyclable d'envergure….
Le monde du commerce a des défis extrêmement durs à relever puisque cela fait maintenant 40 ans que les acteurs politiques ont construit ou laissé construire des supermarchés et hypermarchés en bordure de ville, dans ce monde pensé pour la voiture, la consommation et une expansion foncière terrible. Leur situation est également issue aussi de la crise économique, des changements de pratique, comme la consommation par Internet.
Nous travaillons donc - avec et autour d’eux - pour que la ville redevienne un espace de vie. C’est ainsi que les clients reviendront et revivifieront ces endroits là. Il faut de nouveaux aménagements pour une troisième révolution urbaine.
Grenoble a été construite dans les années 1950-60 sur le "tout voiture" et depuis, il y a eu deux révolutions urbaines. La première correspond au retour de la piétonisation en centre-ville dans les années 1970. Les commerçants étaient vent debout contre ce le projet. Finalement, ils ont ensuite été les premiers à reconnaître que cela avait permis de maintenir une activité économique dans le centre. La deuxième a eu lieu à la fin des années 1980 avec la construction du tramway. Là encore, les commerçants étaient contre.
Avec cette troisième révolution, nous voulons agrandir le centre-ville et changer les moyens de transports : développer les transports en commun, le vélo et la marche à pied. Nous ne voulons pas chasser les voitures, simplement les remettre à leur place. Je pense que les commerçants ont tout à gagner et qu’ils en feront le constat à terme. Oslo, Bruxelles ou Rio de Janeiro donnent déjà plus de place aux piétons. On sait que la ville de demain sera sur ce modèle et nous souhaitons le développer le plus vite possible à Grenoble.
Donc la municipalité de Grenoble va étendre les zones piétonnes ?
Il va y avoir de nouvelles rues piétonnes ainsi que des axes qui seront réservés aux transports en commun, aux vélos et aux piétons.
Vous avez été cadre chez Hewlett-Packard, une multinationale américaine. Pensez-vous que les Français ont plus de mal que les autres à accepter le changement ?
Ça dépend. Il y a une capacité forte au changement en France qui à fait sa révolution en 1789 et qui reste aujourd’hui à la pointe de l’innovation et de la recherche. Mais il y a aussi une culture du débat et du verbe peut-être plus marquée qu’ailleurs. On fonctionne différemment. Dans la société américaine, on passe à l’action puis on s’améliore au fur et à mesure. En France - si l’on caricature - nous cherchons à être parfaits du premier coup donc on discute longtemps avant de passer à l’action. À Grenoble, nous cherchons à avancer en marchant. Nous avons une direction, une boussole et finalement nous nous donnons confiance en faisant, plutôt qu’à attendre la révolution du grand soir.