
Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, est au centre d’une vive polémique après avoir affirmé mardi, lors du Congrès sioniste mondial, que le mufti de Jérusalem avait soufflé l'idée de la Solution finale à Adolf Hitler.
"Hitler ne voulait pas exterminer les juifs". Dans un discours prononcé, mardi 20 octobre, devant le Congrès sioniste mondial à Jérusalem, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a affirmé que c’est le Grand Mufti de Jérusalem, Mohammed Amin al-Husseini, qui a soufflé l'idée de la Solution finale à Adolf Hitler.
Benjamin Netanyahou a affirmé qu’ "Hitler n’avait pas l’intention d’exterminer les juifs, il voulait les expulser". Selon lui, c'est au cours d’une rencontre en novembre 1941, en Allemagne, que le dignitaire musulman aurait déclaré au leader nazi : "Si vous les expulsez, ils viendront tous ici", en Palestine. Hitler aurait donc demandé au Grand Mufti : "Que dois-je faire [des juifs, NDLR] ? La réponse du mufti : "Brûlez-les", a affirmé le Premier ministre israélien.
Cette sortie, qui intervient dans un contexte explosif dans la région, a sans surprise provoqué un tollé en Israël et sur les réseaux sociaux. Le chef de l'opposition israélienne et chef de l’Union sioniste, Yitzhak Herzog, a vivement réagi sur sa page Facebook en affirmant que le Premier ministre faisait le jeu des négationnistes.
"Il n’y a qu’un seul Hitler, a-t-il martelé. Il est celui qui a écrit le livre écœurant "Mein Kampf", et en janvier 1939, soit trois ans avant sa rencontre avec Mohammed Amin al-Husseini, Hitler avait présenté la Solution finale devant le Reichstag". Yitzhak Herzog a exigé du chef du gouvernement qu’il revienne sur sa déclaration, la qualifiant de "distorsion dangereuse de l'histoire".
Des propos "moralement indéfendables et incendiaires"
De son côté, le député Ayman Odeh, qui dirige la "Liste unifiée" regroupant les différents partis arabes de la Knesset, a accusé le Premier ministre israélien de "réécrire l’histoire dans le but de monter les gens contre les Palestiniens". Et d’ajouter : "Netanyahou prouve chaque jour à quel point il est dangereux pour les deux peuples, et jusqu’où il prêt à aller pour consolider son pourvoir et pour justifier sa politique désastreuse."
L'historienne en chef du mémorial Yad Vashem pour la mémoire de la Shoah, à Jérusalem, a estimé que les propos de M. Netanyahou n'étaient pas "historiquement exacts". "Ce n'est pas le mufti, même s'il avait des positions antijuives très extrêmes, qui a donné à Hitler l'idée d'exterminer les juifs", a déclaré Dina Porat à l'AFP.
"Cette idée est bien antérieure à leur rencontre de novembre 1941. Dans un discours au Reichstag le 30 janvier 1939, Hitler évoque déjà 'une extermination de la race juive'", a-t-elle dit.
Le journal "Haaretz" rappelle que le dirigeant israélien avait déjà tenu des propos similaires lors d'un discours à la Knesset en 2012, où il avait décrit Husseini comme "l'un des principaux architectes" de l’extermination des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. La connivence entre les nazis et certaines personnalités arabes musulmanes comme Mohammed Amin al-Husseini ou encore le fondateur des Frères musulmans, Hassan el-Banna, a fait l'objet de plusieurs ouvrages d'historiens dont celui de Barry Rubin et Wolfgang G. Schwanitz, "Nazis, islamistes, et la fabrication du Moyen-Orient moderne", ou dernièrement "Jihad et haine des juifs" de Matthias Küntzel, préfacé par l'historien Pierre-André Taguieff, auteur de nombreux ouvrages sur l’antisémitisme.
"Cette théorie est fausse"
Interrogé par France 24, il estime pour sa part qu’il est pour le moins abusif de faire du Mufti l’inspirateur de la solution finale. "Cette théorie est fausse, dit-il, Hitler n’a pas attendu sa rencontre avec Husseini pour décider l’extermination des Juifs. Je pense même que, lors de cette entrevue, ce dernier ignore que la décision est déjà prise. Mais ce qui est vrai c’est qu’il était un antisémite convaincu, et même -selon nos critères actuels- un jihadiste et qu’il a fait partie des pousse-au-crime. Il a continuellement incité les Allemands à intervenir en Palestine pour en chasser les juifs."
Du reste, au lendemain de son discours devant le congrès sioniste, le Premier ministre israélien a fait machine arrière. Avant de s’envoler pour Berlin, il a déclaré à la presse qu’il n’avait pas voulu diminuer le rôle d’Hitler dans la solution finale : "C’est lui le responsable. C’est lui qui a pris la décision. Mais il est absurde d’ignorer le rôle du mufti Al Husseini qui était un criminel de guerre et a encouragé Hitler à exterminer les juifs d’Europe." Netanyahou a également expliqué qu’il entendait faire la démonstration qu’un antisémitisme arabe existait "sans l’occupation et sans les colonies."
Pour Pierre-André Taguieff, la complicité d’un certain nombre de personnalités arabes palestiniennes avec les nazis "a été constamment sous estimée par de nombreux historiens européens."
Côté palestinien, le numéro deux de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), Saëb Erekat, a réagi ce mercredi en déclarant, "au nom des milliers de Palestiniens qui ont combattu aux côtés des troupes alliées (…), l’État de Palestine dénonce ces propos moralement indéfendables et incendiaires. Les contributions des Palestiniens contre le régime nazi sont une partie profondément ancrée de notre histoire". Le responsable palestinien a indiqué que "le chef du gouvernement israélien hait à ce point son voisin au point qu’il soit disposé à absoudre le plus grand criminel de l’histoire, Adolf Hitler, du meurtre de 6 millions de juifs pendant l’Holocauste".
Pierre-André Taguieff estime que cette invocation de l'engagement des volontaires palestiniens aux côté des combattants alliés "relève aussi de la fable historique."