
à Vancouver – Après neuf ans de pouvoir conservateur, qui ont fait du Canada un cancre en matière d’écologie, le futur Premier ministre Justin Trudeau, fraîchement élu, pourrait changer la donne. Il est en tout cas très attendu à la COP21.
Il s’en est fallu de peu pour que les conservateurs canadiens viennent gâcher la grand-messe du climat à Paris en décembre prochain. En une décennie au pouvoir, le désormais ex-Premier ministre Stephen Harper s’est désengagé du protocole de Kyoto en 2011, a développé tous azimuts l’exploitation des sables bitumineux et a fait voler en éclats une bonne partie des régulations environnementales du Canada. Ce champion des énergies fossiles aux accents souvent climato-sceptiques estime aussi que croissance économique et énergies vertes ne sont tout simplement pas compatibles.
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À moins de deux mois de la COP21, le nouveau Premier ministre libéral, Justin Trudeau, est donc accueilli avec un grand soulagement, mais pas non plus comme le Messie. Il faut dire que lors de son discours de victoire d'une durée de 20 minutes, le nouveau locataire du 24, promenade Sussex n'a pas prononcé une seule fois le mot "environnement". De quoi refroidir les ardeurs des militants et autres défenseurs de la planète qui ont concentré leurs efforts autour du "Tout Sauf Harper" durant les 78 jours de campagne électorale.
Le Canada, l'un des plus gros pollueurs de la planète
Au même titre que l’Australie, le Canada fait partie des “trois ou quatre cancres” attendus au tournant à Paris en décembre, affirme Étienne Leblanc, journaliste spécialiste des questions environnementales à Radio-Canada. "Depuis 10 ans, le Canada a une très mauvaise réputation, celle de ne pas se soucier du changement climatique, celle d'un gouvernement qui laisse faire les pollueurs. Le but, et même le défi, de Justin Trudeau à Paris va être d’envoyer un message à la communauté internationale pour redorer l'image du Canada."
Car même si diplomatiquement Ottawa n’a pas autant de poids que Washington ou Pékin, le Canada figure tout de même parmi les 10 plus gros pollueurs de la planète. Et sa non-coopération fait craindre une contamination à d'autres pays qui aurait pour effet un échec cuisant des négociations comme lors de la COP15 à Copenhague en 2009.
Problème, Justin Trudeau n'a pas fixé d'objectif de réduction des émissions de gaz à effets de serre (GES), point de départ à toute négociation à la COP21, où l'on espère obtenir un accord pour limiter le réchauffement de la planète à 2°C par rapport à l'ère préindustrielle. "Le Canada ne peut pas arriver à Paris les mains vides. D’ici à décembre, il doit faire preuve de plus d’ambition en fixant une cible de réduction d’émissions plus ambitieuse pour 2025 et en s’engageant à aider les pays en développement à hauteur de quatre milliards de dollars par année d’ici 2020", a déclaré Rania Massoud, porte-parole de Greenpeace Canada dans une entrevue accordée à France 24.
Mais pour l'heure, le Canada va à la COP21 avec les maigres engagements pris par l'ex-gouvernement conservateur auprès de l'ONU en mai dernier : 30 % de réduction par rapport aux niveaux de 2005 d’ici à 2030. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) recommande de son côté de -25 % à -40 % inférieurs aux niveaux de 1990 d'ici 2020.
Trancher avec l'ère Harper
"Si Justin Trudeau a réellement l’intention d’assurer le changement auquel aspire la grande majorité des Canadiens qui ont voté pour lui, il doit faire en sorte que leur pays redevienne un leader mondial au niveau de la science, du développement et de la lutte contre les changements climatiques. Le nouveau Premier ministre doit trancher avec l’ère Harper et sortir le Canada de son isolement sur la scène internationale", poursuit Rania Massoud de Greenpeace Canada.
Le fait que Justin Trudeau n'ait pas donné de chiffre exact sur ses objectifs de réduction de GES "ne veut pas dire qu'il n'est pas ambitieux", tempère Étienne Leblanc. "C'est peut-être même assez fin de sa part d'aller à la COP21 en créant la surprise et en disant : 'on veut améliorer notre cible initiale'... Au lieu de donner une cible irréaliste au vu de notre structure économique comme l’a fait le néo-démocrate Thomas Mulcair."
Le chef du Nouveau Parti démocratique a en effet promis, pendant la campagne électorale, une réduction de 34 % sous le niveau de 1990 d’ici à 2025-2030, objectif jugé inatteignable par de nombreux commentateurs pour un pays comme le Canada, où l'économie de certaines provinces repose entièrement sur l'Or noir.
Bien qu'il n'ait pas annoncé ses cibles de réduction des émissions de GES, Justin Trudeau s'engage à les fixer lors d'une réunion avec les premiers ministres des provinces canadiennes qui doit être organisée dans les trois mois suivant la conférence de Paris. Et ce afin de respecter les efforts déjà entamés localement dans les provinces dont les sources de revenus sont très variés. La Colombie-Britannique, à l'ouest, dispose par exemple d'une taxe carbone mise en œuvre depuis plusieurs années.
"Le risque, c'est qu'il ne se passe plus rien après la COP21"
La COP21 va surtout être le premier grand exercice diplomatique de Justin Trudeau. "Le risque, c'est qu'il ne se passe plus rien après", note Étienne Leblanc. La crainte de la déception et du statu quo est bien présente, d'autant que certains points de politique environnementale promettent déjà des débats passionnés comme la question des projets d'oléoducs.
"La position des libéraux est paradoxale. Ils promettent de faire mieux que les conservateurs, aussi bien dans la lutte contre les changements climatiques que dans le développement de nouveaux projets de pipelines de sables bitumineux", relève Rania Massoud. Justin Trudeau n'est pas entièrement contre les oléoducs (il appuie par exemple le project Keystone XL), ni entièrement pour (il s'oppose au projet Northern Gateway en Colombie-Britannique). Des projets ayant donné lieu à des vagues de protestation parfois violentes.
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Parmi les autres promesses environnementales de Justin Trudeau, investir 1,2 milliard de dollars dans les énergies vertes, rendre les 40 millions de dollars que le gouvernement Harper avait retiré aux programmes de recherche océanographique ou encore débloquer 20 milliards de dollars pour favoriser les transports collectifs.
Le nouveau Premier ministre promet de rattraper “le retard accumulé durant les années Harper” et prévient d'ores et déjà "que le gouvernement du Canada est de retour pour respecter ses engagements, ses responsabilités à l'échelle internationale." Promesses qu'il aura l'occasion de remplir dès le 29 novembre à Paris.