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Carnet de route : "Humainement, cette mission était très forte"

De l’est de la Grèce à l’extrême nord de la France, des milliers de migrants, fuyant la Syrie, l'Irak ou l'Afghanistan, empruntent la route des Balkans. Karim Hakiki, reporter de France 24, livre ses impressions dans son dernier carnet de route.

Ils arrivent par milliers. Après avoir bravé les dangers d’une traversée de la Méditerranée, ils débarquent sur les côtes européennes, notamment grecques, avec le ferme espoir d'une vie meilleure, loin des violences. Quels sont leurs désirs et leurs regrets ? Comment vivent-ils, seuls ou en famille, l’exil et la précarité ? Qui sont ceux que l’Europe nomme communément "les migrants" ? De Thessalonique, en Grèce, jusqu’à Calais, dernière étape avant le Royaume-Uni, une équipe de France 24 suit la route empruntée par des dizaines de milliers de personnes, jetées sur les routes par la guerre et les persécutions. Au-delà de cette actualité, France 24 vous propose quotidiennement de découvrir le regard que porte notre reporter Karim Hakiki sur ce périple.

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Jeudi 10 septembre, Calais (France).

"On est à un quart d’heure de Calais. On est très contents d’avoir foulé de nouveau le sol français même si, dans les faits, on ne s’en pas réellement rendus compte. On a levé la tête et on s’est dit 'Ça y est on est en France". Aujourd’hui, j’aimerai rendre hommage à la technique et au travail en équipe. C’est un sujet que l’on aborde peu mais on n’aurait pas pu faire tout ça sans support technique. On est partis à quatre : Fernande Van Tets, nouvelle pigiste de la chaîne anglo que je ne connaissais pas, Adel Gastel que je connais très très bien et avec qui j’ai vécu plein de choses et Jean-François Point (alias Jeff), notre technicien camion. L’équipe composée sur le papier devait marcher sur le terrain. On n’avait pas le choix, on était condamnés à s’entendre.

Jeff s’est démené pour que l’on puisse transmettre nos reportages en temps et en heure mais aussi faire nos directs. On a testé un nouveau système de transmission : la diffusion par antenne parabolique KA. Sa particularité ? Elle est assez souple et nous permet une transmission quasi-instantanée. Il suffit de pointer l’antenne vers le Sud pour être en contact avec France 24. Vu qu’on essuyait les plâtres, on avait un peu peur que ça ne fonctionne pas. La moitié de notre travail a consisté à faire en sorte de comprendre et surtout faire fonctionner le tout. Il y avait un petit risque, on a donc croisé les doigts. Au final, on est hyper contents et avec Jeff aux manettes, j’étais tranquille. Il s’est parfois arraché le peu de cheveux qu’il avait sur la tête, mais ça m’a dégagé du temps sur l’éditorial.

À France 24, on est obligés de travailler en équipe parce qu’on émet en trois langues : français, anglais et arabe. En mission, la plupart du temps, chaque journaliste travaille pour une langue avec un JRI (journaliste reporter d’images, NDLR). Il y a donc trois points de vue différents et c’est très enrichissant sur le terrain. On échange beaucoup pour essayer de faire un seul produit France 24. C’est parfois plus long mais c’est la magie de l’exercice.

J’ai couvert de nombreux évènements pour France 24, notamment dans des zones de conflit. Et cette mission "Les chemins de l’exil" fait partie de celles qui m’ont le plus marqué. Humainement, c’était fort. On a avancé avec les migrants, ce qui est très rare. D’ordinaire, on a une unité de lieu. On travaille à un endroit et ensuite on part. Là, on a vu les gens et les paysages défiler. C’est très rare de travailler comme ça. C’est du travail au long cours, comme Joseph Kessel ou Albert Londres qui ont raconté leurs traversées. J’ai adoré. Et puis, on a vécu ensemble 24h/24 et on a réussi à s’entendre. C’est un bilan très positif. Le seul bémol, c’est qu’on a pas eu le temps de se poser. On avait pris des tentes pour camper avec les migrants et malheureusement, on a pas eu le temps de le faire. On voulait vraiment vivre leur vie mais on n’a pas pu. C’est dommage mais matériellement, c’était impossible.

"Ils ne savaient pas où aller, c'étaient des ombres"

L’image que je garderai de cette mission, c’est Thessalonique. On était sur l’autoroute, à la frontière avec la Macédoine. Là, on voit une famille avec une vieille dame malade, son fils et sa belle-fille. Ils était perdus au milieu de cette autoroute. Les voitures passaient et personne ne s’arrêtait. On a vu dans leurs yeux la panique. Ils ne savaient pas où aller. Le taxi les avait déposés là sans leur dire où était la frontière. C’est là qu’on a réalisé le désarroi des migrants. Je me souviens leur avoir indiqué le chemin et les avoir filmé à la longue focale. C’étaient des ombres. Je me suis dit : 'C’est ça les migrants ?'. On les a retrouvés quelques heures plus tard, marchant le long de la voie de chemin de fer avec tous les autres. Cette image restera gravée dans ma mémoire.

>> Retrouvez les carnets de route "Les chemins de l'exil"