Dans une vidéo diffusée samedi, l'EI affirme avoir commencé à frapper sa propre monnaie, une devise en or, en argent et en cuivre pour libérer "les musulmans de l'asservissement des banques sataniques".
L’organisation de l’État islamique (EI) affirme avoir commencé à frapper sa propre monnaie. Dans un film d’une durée de 54 minutes rendu public samedi 29 août, le groupe jihadiste annonce le "retour du dinar d'or" et présente fièrement au monde sa devise. Des pièces sonnantes et trébuchantes, en or, en argent et en cuivre, dont il avait déjà montré un échantillon au printemps dernier, en diffusant la photo d’une pièce d’or de cinq dinars via les réseaux sociaux. Le groupe jihadiste affirme vouloir ainsi "sauver les musulmans de l’asservissement des banques sataniques".
Une nouvelle étape, très forte symboliquement, dans l’expansion de l'organisation terroriste. "L’EI s’est octroyé une nouvelle prérogative régalienne", observe Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste des mouvements jihadistes. L’organisation est en effet déjà forte d’un territoire, d’une armée, d’une administration (hôpitaux, écoles…), d’un appareil judiciaire comprenant des tribunaux. Elle lève également certains impôts dans les zones qu’elle contrôle, la jizzieh, imposée aux minorités religieuses. "L’EI réaffirme qu’il est un État."
La motivation de l’EI est double selon Wassim Nasr. "La première raison est religieuse : l’un des préceptes de l’islam dit que seuls l’or et l’argent peuvent servir de monnaie d’échange", un précepte coranique que l’organisation ne manque pas de rappeler dans son film. "La seconde est de se libérer du système monétaire international, qu’ils dénoncent comme injuste et asservissant, et dont ils ne pouvaient se défaire. Jusque-là, ils étaient bien obligés de se servir des devises irakiennes, syriennes et même du dollar", explique-t-il.
Pourquoi l’organisation de l'État islamique a décidé de frapper sa monnaie en or ?
Se libérer du système monétaire international
Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Pour l'EI, le système financier international est injuste et contraire aux préceptes de la finance islamique, puisqu’il comprend des taux d’intérêts. Et c’est ce que le narrateur de la vidéo entreprend de démontrer, via à un argumentaire construit et illustré. Le récit décrit tout d’abord le système d’échange en vigueur dans la cité antique de Babylone, où fut frappée une monnaie en or pour faciliter les transactions. Il passe ensuite sur l’adoption des monnaies de papier et les dévaluations successives qu’elles ont connues et qui ont conduit le système monétaire mondial à remplacer l’or comme valeur d’adossement par le dollar, seule monnaie convertible en or, après les accords de Bretton Woods, en 1944. Jusqu’à ce que les États-Unis abandonnent à leur tour l'étalon-or sous Nixon en 1971, ne pouvant plus maintenir son prix. Des détails qui laissent à penser qu’un économiste a aidé à la réalisation du film de propagande.
Le choix de l’or par l'EI n’est donc pas un hasard : les jihadistes sont en effet conscients qu’ils n’auraient pas pu instaurer leur propre devise sous forme de papier, car personne n’en aurait reconnu la valeur monétaire. Ce qui n’est pas le cas de l’or, référence universelle par excellence, que tout commerçant accepterait comme monnaie d’échange.
Reste à savoir si le groupe qui sévit en Irak et en Syrie et en contrôle de larges pans réussira à imposer ses nouvelles pièces. Il faut en effet rester prudent, rappelle Wassim Nasr, puisque l’EI n’a pas pour l’instant interdit les monnaies locales et n’a pas procédé non plus à des distributions massives de pièces d’or, d’argent et de cuivre. "Les jihadistes peuvent l’imposer de deux manières : en exigeant d’être rémunérés en or, pour des transactions importantes avec des commerçants de la région, ou bien en convertissant les salaires des fonctionnaires et en obligeant la population à acheter les produits de premières nécessité avec des dirhams d’argent et des fils de cuivre", explique-t-il.