Le procureur fédéral allemand Harald Range a été mis à la retraite anticipée par le ministre de la Justice. Une manière de tenter de clore le scandale qui a entouré une enquête pour "haute trahison" lancée contre deux journalistes.
Il avait poussé le bouchon et l'enquête trop loin aux yeux du ministre allemand de la Justice Heiko Maas. Le procureur fédéral, Harald Range, a été mis à la retraite anticipée en "accord avec la chancellerie", mardi 4 août, quelques heures après avoir accusé son ministre de tutelle d'être responsable "d'une attaque intolérable contre l'indépendance de la justice". Cette décision rare et brutale vient sanctionner l'entêtement du magistrat à vouloir poursuivre deux journalistes du site Netzpolitik.org pour "haute trahison".
Le limogeage vise à clore pour de bon la virulente controverse sur fond de liberté de la presse suscitée en Allemagne par la procédure judiciaire. Elle avait mis le gouvernement d'Angela Merkel dans une situation délicate.
La polémique a éclaté jeudi 30 juillet lorsque le site Netzpolitik.org, spécialisé dans la défense des libertés sur l'Internet, révèle que le parquet cherche à déterminer si son rédacteur en chef, Markus Beckedahl, et le journaliste Andre Meister se sont rendus coupables de "haute trahison". En cause : deux articles publiés en février et avril 2015 sur un programme secret de collecte de données sur l'Internet des services allemands de renseignement et sur son financement.
Un précédent en 1962
Ces révélations ont mis le chef du renseignement intérieur, Hans-Georg Maassen, dans une colère noire et l’ont poussé à déposer plainte arguant que les informations contenues dans les articles mettaient en péril les intérêts de l'État allemand.
D’où l’enquête initiée par Harald Range. Les journalistes de Netzpolitik se savaient, depuis début juillet, dans le viseur du parquet. Mais ils n’imaginaient pas que le procureur aille jusqu’à invoquer une possible "haute trahison". Ce crime peut, dans les cas les plus graves, valoir à ses auteurs une condamnation à la prison à vie.
Surtout, la dernière fois que ce chef d’accusation a été brandi contre des journalistes, l’affaire a très mal tourné pour le pouvoir en place. C'était en 1962 : le directeur du magazine "Spiegel" avait été mis en cause pour un article sur le sous-équipement de l'armée d'Allemagne de l'Ouest. Le tollé provoqué par cette procédure, qualifiée d'atteinte à la liberté de la presse, avait fini par coûter son poste au ministre de la Défense de l’époque, le très conservateur Franz-Joseph Strauss.
Manifestation à Berlin
Les soutiens dont Netzpolitik a bénéficié depuis la fin de la semaine dernière - une manifestation pour la liberté de la presse a ainsi rassemblé environ 2 500 personnes à Berlin samedi - ont fait monter la pression politique. Plusieurs responsables des partis d'opposition, surtout dans les rangs des Verts et de la gauche radicale (Die Linke), ont dénoncé une procédure "honteuse". Le gouvernement a également fait part de ses doutes sur la pertinence de l’enquête.
Harald Range avait accepté de "suspendre" l’enquête dans l’attente d’une expertise pour savoir si les documents révélés par Netzpolitik constituent des "secrets d’État". Cette dernière lui a donné raison, a-t-il affirmé mardi 4 août, tout en précisant qu'il devait néanmoins mettre un terme à la procédure sur demande expresse du ministère de la Justice. C'est cette intervention du gouvernement qui a poussé Harald Range à s’en prendre à son ministre de tutelle et à clamer son attachement à l’indépendance de la justice.
Cette dernière sortie ne lui a pas seulement valu un ticket pour la retraite anticipée. Les commentateurs ont aussi dénoncé ce qu’ils ont qualifié de "posture" et d'"hypocrisie" de la part de l'ex-procureur fédéral. Ils ont rappelé que le même Harald Range n’avait pas fait preuve d’un même zèle lors de l’enquête sur l’espionnage de la chancelière Angela Merkel par la NSA. Le procureur avait décidé, le 12 juin, de classer l’affaire sans suite "faute de preuves", alors même que la commission d’enquête parlementaire sur ce scandale n'avait pas fini de chercher ces fameuses preuves.