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Syrie : qui compose les rangs de l’Armée de la conquête ?

Regroupement d’insurgés salafistes et jihadistes, l’Armée de la conquête entend combattre le régime de Damas, mais aussi le groupe État islamique. Qui se cache derrière cette coalition ? Décryptage avec Wassim Nasr.

Depuis plusieurs mois, des insurgés salafistes et jihadistes regroupés au sein de l’Armée de la conquête (Jaish al-Fatah) s’emploient à combattre, dans le nord-ouest de la Syrie, les forces du régime de Damas. Mais cette coalition de circonstance pourrait également s'engager sur un autre front : celui de la lutte contre les jihadistes de l’organisation État islamique (EI). Alors que les États-Unis ont fait de l'écrasement de l'EI leur priorité, certaines composantes de l’Armée de la conquête essaient-elles de paraître modérées afin d’obtenir le soutien, entre autres, des pays occidentaux. Qui se cache derrière cette coalition ? Quels sont ses objectifs ? Décryptage avec Wassim Nasr, journaliste à France 24 spécialiste des mouvements jihadistes.

Quelles sont les composantes de l’Armée de la conquête ?

L’Armée de la conquête est tout d’abord une coalition militaire et non politique. Cela change tout car cela signifie que ces différentes composantes ne partagent pas un projet politique commun. Le mouvement Ahrar al-Cham, qui regroupe des salafistes proches des Frères musulmans soutenus par la Turquie et le Qatar, ne défend pas un jihad global et limite ses actions au territoire national, contrairement aux jihadistes du Front al-Nosra, qui est la branche syrienne d'Al-Qaïda. Nous avons donc au sein d’une même coalition les deux extrêmes des mouvances islamistes, l'une qui accepte le jeux démocratique et la pluralité et l'autre qui est dans l’application stricte de la charia.

>> À lire sur France 24 : "Ankara et Washington hésitent : quels groupes rebelles soutenir en Syrie ?"

Le but de cette coalition est de combattre les forces du président syrien Bachar al-Assad et, à l'avenir peut-être, les combattants du groupe État islamique puisque certains groupes de la coalition les ont déjà attaqués. Les dirigeants d’Ahrar al-Cham ont une dette de sang envers leurs chefs traditionnels qui ont été tués lors d’un attentat perpétré par l’EI. Pour sa part, le Front al-Nosra est, depuis 2013, en conflit idéologique et militaire avec l’EI .

La Turquie milite pour l’instauration d’une "zone d’exclusion aérienne" à la frontière turco-syrienne qui permettrait de protéger les civils des attaques de l’EI, des rebelles kurdes du PKK et des bombardements de l’armée syrienne. Un projet que l'Armée de la conquête aimerait voir se concrétiser...

L’Armée de la conquête souhaiterait en prendre le contrôle mais les groupuscules qui la composent risquent de s’affronter pour y parvenir. Car il est peu probable qu’Ankara veuille du Front al-Nosra dans cette zone tampon. Les États-Unis non plus d’ailleurs. Le Front al-Nosra, affilié à Al-Qaïda, est de ce fait aussi la cible de frappes américaines. Il faut rappeler que les premières frappes ont visé le Front al-Nosra et pas l’EI.

De leur côté, les combattants du Front al-Nosra essaient systématiquement d’évincer les groupuscules qu’ils savent soutenus par Washington car ils constituent une menace pour leur projet dans la région. Il y a plusieurs mois aux environs d’Idlib (nord-ouest), ils ont attaqué une faction qui avait reçu des États-Unis des missiles antichar TOW. Ils lui ont pris ces armes pour les utiliser ensuite contre l’armée d’Assad. Toujours à Idlib, le Front al-Nosra est également soupçonné d'avoir kidnappé des chefs de groupes et des combattants entraînés par les Américains...

L’armée de Bachar al-Assad n’a plus les ressources nécessaires pour combattre sur la totalité du territoire syrien. Peut-on parler d’une partition du pays ?

Sur le terrain, il y a une partition de facto de la Syrie. Assad lui-même a dit que ses troupes ne pouvaient plus aller se battre sur tous les fronts. L’armée syrienne et les milices qui l'aident, comme le Hezbollah, tiennent ce qu’on appelle la "Syrie utile", à savoir la zone la plus peuplée du pays et l’axe qui va de Deraa, dans le Sud, à une partie d’Alep en passant par Damas et Homs. Il s’agit en fait de toute la côte Ouest où résident les Alaouites, c’est-à-dire le vivier du régime syrien. Tant qu’ils tiennent ces zones, l'équilibre des forces peut rester inchangé. Aujourd’hui en Syrie, les différents camps évoluent surtout dans les zones où les populations leur sont favorables.