
Voilà deux semaines que le Daily Telegraph abreuve ses lecteurs de révélations sur les scandaleuses notes de frais remboursées aux députés britanniques. Les médias en font leurs choux gras et le Parlement vit des heures difficiles.
"Cet acharnement doit cesser". C’est l’ancien secrétaire d’Etat à la Justice, Shahid Malik, qui l’affirme. M. Malik a été contraint à la démission après la publication d’informations sur le remboursement de ses notes de frais dans le Daily Telegraph.
Or, il s’agit bel et bien d’un "acharnement", et voilà les médias britanniques pris de frénésie.
Leur plus beau "trophée", depuis le début du scandale, demeure la démission de Michael Martin, "speaker" (président) de la Chambre des Communes, stigmatisé pour sa gestion du scandale des notes de frais. Plutôt que de faire amende honorable, M. Martin avait diligenté une enquête de police sur les fuites à l’origine du scandale...
Or, le président est responsable du comportement des élus de la Chambre des Communes, et M. Martin est le premier "speaker" contraint à la démission en plus de trois siècles.
Depuis que le Daily Telegraph s’est mis à déterrer les notes de frais extravagantes des députés britanniques, "le plus vieux club de gentlemen du Royaume-Uni" freine des quatre fers.
Le jeudi 21 mai, les trois quarts de l’édition du quotidien (classé à droite) étaient consacrés au scandale. Les révélations concernaient les remboursements de prêts immobiliers, de mystérieuses assurances et le départ forcé de Sir Peter Viggers après la fin de son mandat. Ce député conservateur avait perçu plus de 30 000 livres (34 000 euros) pour l’entretien du jardin de sa propriété, dont 1 645 livres (1 883 euros) pour la seule construction d’un petit abris pour canards.
Jusqu’à présent, le quotidien a révélé les écarts de conduite de 19 députés du Labour, dont ceux du Premier ministre Gordon Brown, de 19 conservateurs, de six députés libéraux-démocrates et de deux autres appartenant au Sinn Fein.
Autorégulation
On savait depuis longtemps que le système de remboursement des frais des députés ouvrait la porte à bien des abus.
Suite à un jugement rendu par le Tribunal de grande instance, l’an dernier, se référant à la loi sur la liberté d’information (Freedom of Information Act, 2000), la Chambre des Communes avait promis de publier la liste des dépenses de ses députés, en juillet 2009, tout en gardant secrets certains détails gênants.
Mais un "homme d’affaires", dont l’identité n’a pas été révélée, a vendu au Daily Telegraph les fichiers informatiques contenant tous les détails de ces remboursements… Depuis le 8 mai, le quotidien publie sa dose quotidienne d’abus parlementaires.
Coup de fouet aux ventes
Il n’y a rien de tel qu’un politicien pris la main dans le sac pour provoquer l’indignation publique et donner un peu d’excitation au thé matinal. Les Britanniques aiment leur presse et leur appétit pour les scandales n'est jamais rassasié . Un appétit que les journaux adorent satisfaire… Après tout, cela fait exploser les ventes !
Le 20 mai, alors que le scandale entrait dans sa 11e journée, le quotidien The Guardian calculait que les ventes du Daily Telegraph avaient connu un coup de fouet équivalent à 60 000 exemplaires supplémentaires par jour.
L’intérêt du public pour ce nouveau scandale est tel que l’émission phare de la BBC, Question Time, a rassemblé 3.8 millions de téléspectateurs, le 14 mai – sa plus forte audience des trente dernières années.
Même les banquiers peuvent souffler, maintenant que les projecteurs se sont déplacés, par rapport au scandale né de leurs bonus en temps de crise, vers celui des notes de frais - en tous les cas, pour l’instant.
Réforme ou dissolution parlementaire ?
Mais déjà, une tribune publiée dans l’hebdomadaire The Economist rappelle qu’un système parlementaire fiable doit faire preuve d’autorité morale. Conséquence : elle appelle à une réforme constitutionnelle, alors que d’autres parlent d’élections anticipées.
The Guardian s’est aussi fendu d'un dossier titré : "Pour une nouvelle politique : vers une feuille de route de réformes gouvernementales."
L’article explique qu’il ne suffira pas de modifier ce système de remboursement pour remettre de l’ordre au Parlement, et qu’une réforme constitutionnelle de fond en comble devient nécessaire.
“Les pères fondateurs des États-Unis ont mis quatre mois à se mettre d’accord sur la constitution” y lit-on. "M. Brown a plus de temps que cela. Il dispose d’une année pour laisser son nom dans l’Histoire, comme grand réformateur ou comme figure de l’échec politique."
Les éditorialistes du quotidien de gauche vont jusqu’à suggérer un certain nombre de pistes pour cette réforme. Le New-Yorkais Gary Younge appelle à "jeter la monarchie à la poubelle" tandis que Jonathan Freedland fait revivre un vieux débat et souhaite que tous les députés de la chambre des Lords soient élus [dans le système parlementaire britannique, la chambre haute ou House of Lords est composée de 713 députés dont la plupart sont nommés à vie par la reine, sur proposition du Premier ministre].
Enfin, pour Martin Kettle, les pouvoirs des parlementaires doivent être plus importants et ils doivent exercer un plus grand contrôle sur le pouvoir exécutif. M. Kettle cite la décision prise par les parlementaires d’envoyer des soldats en Irak. Et ajoute : "Les élus devraient cesser d’être des moutons et commencer à être des chiens de garde."