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FranceLeaks : Paris, victime et acteur de la guerre du renseignement ?

Les révélations faites mardi sur les écoutes des présidents français par la NSA ne devraient pas endommager les relations diplomatiques franco-américaines. Et pour cause, la France est elle aussi engagée dans la guerre du renseignement.

Les réactions officielles n’ont pas tardé, mercredi 24 juin, au lendemain des révélations de WikiLeaks, Mediapart et "Libération" sur les écoutes des présidents français Chirac, Sarkozy et Hollande par la National Security Agency (NSA). Tenue d’un Conseil de défense exceptionnel à l’Élysée, convocation de l’ambassadrice américaine à Paris, annonce de l’envoi du coordinateur du renseignement français aux États-Unis, vives réactions de nombreux responsables politiques : la France a affiché publiquement son mécontentement face aux agissements du puissant service de renseignement américain, quitte à adopter des postures de façade.

Alain Marsaud sur France 24

"Le chef de l’État n’a pas d’autre choix politique que de dire que ce n’est pas acceptable, mais il est absolument évident qu’il n’y a pas eu d’effet de surprise, ce n’est pas comme si on ne le savait pas", affirme Olivier Chopin, chercheur au Centre d’études sociologiques et politiques Raymond Aron (Cespra), spécialiste des questions de renseignement et auteur de "Pourquoi l’Amérique nous espionne" (Hikari Éditions), contacté par France 24. "On assiste donc à des réactions politiques très convenues, dit-il. La France se retrouve dans la même position qu’Angela Merkel il y a quelques mois."

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La chancelière allemande a en effet été, elle aussi, victime d’écoutes téléphoniques de la NSA dans le passé. Les révélations du journal allemand "Der Spiegel", en octobre 2013, avaient provoqué une petite crise diplomatique entre l’Allemagne et les États-Unis. Le président américain Barack Obama s’était alors engagé à ne plus écouter, "sauf en cas de force majeure", les chefs d’État alliés et amis. Une position officielle que n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler l’Élysée dans un communiqué.

Qualifiant les écoutes de la NSA de "faits inacceptables" qui ont "déjà donné lieu à des mises au point entre les États-Unis et la France, notamment fin 2013 au moment des premières révélations et lors de la visite d’État du président de la République aux États-Unis en février 2014", le communiqué de la présidence de la République rappelle que "des engagements avaient été pris par les autorités américaines" et affirme que ceux-ci "doivent être rappelés et strictement respectés".

Alors que François Hollande a fait savoir qu’il devait s’entretenir par téléphone avec Barack Obama dans la journée, le Premier ministre Manuel Valls a également réclamé, mercredi, "un code de bonne conduite" entre pays "alliés", affirmant que "les États-Unis doivent tout faire pour réparer" les dégâts liés aux révélations de WikiLeaks.

"Probablement pas d’impact à court terme sur les relations franco-américaines"

Ceux-ci sont toutefois limités. "Ces révélations sont une source d’inquiétude et d’irritation, elles obligent les diplomates et les dirigeants à prendre position, ça n’améliore pas l’atmosphère, mais elles n’auront probablement pas d’impact à court terme sur les relations franco-américaines", explique à France 24 Nicholas Dungan, conseiller spécial auprès de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et chercheur au Atlantic Council à Washington.

"La France a toujours poursuivi une politique d’indépendance et d’égalité vis-à-vis des États-Unis. Ces révélations ne vont pas interrompre la coopération entre Paris et Washington sur la Cop21 [conférence des Nations unies sur le changement climatique], par exemple, ou sur l’espionnage fait en commun. Il n’y a pas deux pays qui travaillent plus étroitement dans la lutte contre le terrorisme", ajoute Nicholas Dungan, qui souligne qu’il n’y aurait pas davantage de surprise côté américain si la Maison Blanche apprenait qu’elle était espionnée par Paris.

Car malgré toutes les déclarations de principe entendues ces dernières heures, la France est, elle aussi, engagée dans la bataille du renseignement. Le projet de loi sur le renseignement, soumis au vote définitif de l'Assemblée nationale, mercredi, doit ainsi définir les missions des services, le régime d'autorisation pour l'utilisation des techniques d'espionnage et leur contrôle sur le territoire français.

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"Clairement, un pays qui aurait un tissu industriel et des ambitions stratégiques comme la France et qui ne développerait pas ses moyens de renseignement serait dans une mauvaise position, affirme Olivier Chopin. La France ne va pas développer un système de captation de la même ampleur que celui des États-Unis, mais il y a des effets de décalage très fort entre des puissances qui ont 'technologisé' leur renseignement comme les États-Unis, la Chine et la Russie, et des pays en phase de rattrapage. Or une des dimensions de la loi sur le renseignement consiste à dire qu’on rattrape un certain niveau."

Car si les révélations de WikiLeaks, Mediapart et "Libération" n’apprennent finalement rien de fondamental sur la politique étrangère française, elles soulignent une fois de plus la capacité technique des États-Unis à intercepter de nombreuses conversations, et ce au plus haut niveau de l'État. C’est finalement la domination technologique qui est en jeu, estime Olivier Chopin. Au même titre que la puissance politique, économique, commerciale et militaire, la technologie numérique est devenue un nouvel espace géostratégique à part entière.