Les États-Unis pourraient stationner des armes lourdes, y compris des chars, en Europe de l'Est. Mais pour le spécialiste des questions de défense Yves Boyer, cet éventuel déploiement aux portes de la Russie ne devrait pas impressionner Moscou.
Après les révélations du "New York Times" sur un projet américain de déploiement d'armes lourdes en Europe de l'Est pour rassurer les pays se sentant menacés par la Russie, Moscou a vivement réagi, lundi 15 juin, en affirmant qu’il s’agirait de "la mesure la plus agressive du Pentagone et de l'Otan" depuis la guerre froide. "La Russie n'aura pas d'autre choix que d'accroître ses effectifs et ses forces sur son flanc ouest", a également affirmé le général Yuri Yakubov, cité par l'agence de presse Interfax.
Si le projet du ministère de la Défense américain venait à être validé par la Maison Blanche, pour la première fois, l'armée américaine disposerait alors en permanence d'armes lourdes dans des pays qui ont rejoint l'Otan mais appartenaient autrefois à l'URSS ou à sa sphère d'influence. La symbolique serait donc très forte, ce que n’a pas manqué de relever le général russe en faisant référence à la guerre froide.
Mais pour Yves Boyer, directeur-adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste de la politique de défense américaine et de l’Otan, interrogé par France 24, analyse les crispations et tensions actuelles entre Washington et Moscou.
Le Pentagone est en passe de stationner des armes lourdes, y compris des chars, en Europe de l’Est. Est-ce le retour de la guerre froide ?
Non, car le nombre de soldats évoqué et la quantité d’armes n’ont rien en commun avec ce qu’on a pu connaître durant la guerre froide. À l’époque, c’était des dizaines de milliers de soldats. Là, le volume est complètement dérisoire : on parle d’une compagnie dans chacun des pays baltes et de quelques chars Abrams en Pologne. C’est très peu. Ce n’est pas ça qui arrêterait les Russes.
Dans ce cas, quel intérêt de mettre ce plan à exécution ?
Plus qu’un geste militaire de la part des Américains, il faut plutôt y voir un geste à destination des pays baltes et d’Europe de l’Est. Stationner des armes en aussi faible quantité à proximité de la Russie, ça n’a pas de sens militaire. Mais cela a un sens politique à l’égard des Russes, des pays concernés, de l’opinion américaine, qui devra bientôt choisir un nouveau président, et de l’Otan, qui peut ainsi retrouver un peu de vitamines. Et en faisant plaisir à ces pays européens, pour qui il n’y a que Washington qui compte en matière de sécurité, les États-Unis peuvent demander des contreparties comme, par exemple, un soutien diplomatique sur le TTIP [traité de libre-échange transatlantique actuellement en négociations entre les États-Unis et l'Union européenne].
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Mais les pays d’Europe de l’Est sont-ils réellement menacés par la Russie ?
Tout cela est ridicule et stupide. Pourquoi la Russie voudrait-elle attaquer ces pays ? Pour faire quoi ? Pour aller où ? Ça n’a aucun sens. La politique c’est du réalisme, de l’évaluation des rapports de force. Ces pays se sentent menacés car ils ont un passé douloureux et compliqué avec les Russes, et que la situation en Ukraine les interpelle. Mais de là à dire que les Russes vont franchir le pas et marcher sur Riga, non. Nous ne sommes plus dans une configuration de guerre froide, d’autant que ce type d’action serait dramatique pour notre sécurité, car il y aurait rapidement une escalade nucléaire, et Moscou en a conscience. Derrière les enjeux en Ukraine et, plus généralement en Europe de l'Est, personne ne veut faire la guerre.
Les Russes ont déjà réagi en déclarant qu’ils allaient être obligés de muscler leur présence militaire dans l’ouest du pays. Ce projet va-t-il envenimer un peu plus les relations entre Washington et Moscou ?
Cela ne fera pas du bien aux relations entre les deux pays, c’est certain. On pouvait s’attendre à la réaction de Moscou. Les Russes vont hausser les épaules pour la forme et protester, mais ce sera de la gestuelle. Encore une fois, il s’agit d’une goutte d’eau dans la mer au niveau militaire. Je ne crois pas que cet éventuel déploiement impressionne beaucoup les Russes.