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Cannes 2015 : quand Gérard Depardieu se met à nu

Festival de Cannes, dixième jour. Alors que la Croisette sombre dans une langueur monotone, Gérard Depardieu et Isabelle Huppert partent à la rencontre de leur fils décédé dans "Valley of Love". Rarement les deux comédiens ont été aussi émouvants.

À deux jours de l’annonce d’un palmarès qui s’annonce ouvert, la Croisette sombre nonchalamment dans un état de langueur. Les vents de polémique ont arrêté de souffler, les bataillons de stars se délestent de leurs plus illustres élements et les soirées peinent à renouveler leurs stocks de tubes dansants (on n’en peut plus de Rihanna). Dans cette ambiance de fin de fête, les festivaliers encore présents ont des allures de piliers de comptoir. Les yeux sont cernés, les paroles désabusées, l’humeur et la chemise froissées.

Le contexte ne pouvait être plus favorable pour l’arrivée de Gérard Depardieu. Enfin, c’est lui qui le dit. À l’affiche de "Valley of Love" - cinquième long-métrage français en lice pour la Palme d’or -, l’acteur se réjouit de ce que son film soit présenté en fin de compétition. "Comme ça, ça nous évite tous les cons !", a-t-il lâché au magazine "Gala". Sacré Gérard.

Gérard est Gérard, Isabelle est Isabelle

Cela fait longtemps que l’ambassadeur du cinéma hexagonal ne s’embarrasse plus de diplomatie. Ses sorties peu amènes à l’égard de tout ce qui touche à l’intelligentsia, à l’establishment, au pouvoir, ont fait de lui non plus un simple acteur mais une icône rabelaisienne du franc-parler gaulois. Gérard Depardieu mange tout. À l’écran, il n’est plus Monsieur Tout-le-Monde ou le Comte de Monte-Cristo, il est Gérard Depardieu qui interprète Monsieur Tout-Le-Monde ou le Comte de Monte-Cristo.

C’est ce qu’a compris Guillaume Nicloux qui, avec "Valley of Love", ne cesse de s’amuser avec le personnage public et ce qu’il représente dans l’imaginaire collectif (français en tout cas). Gérard Depardieu y joue un acteur connu prénommé Gérard et qui est né à Châteauroux (comme lui). Sa partenaire dans le film est interprétée par Isabelle Huppert, elle aussi actrice, elle aussi célèbre. Dans ce récit auto-fictionnel, un seul élément biographique a été inventé : Gérard et Isabelle ont, dans une vie passée, formé un couple. Union de laquelle est né un garçon, Mickael.

Ce fils, jamais nous ne le verrons : il a mis fin à ses jours six mois plus tôt. Mais son fantôme, lui, hante constamment le film. Avant de mourir, Mickael a écrit une lettre à ses parents dans laquelle il leur ordonne de se rendre, à une date précise, dans la Vallée de la mort, aux États-Unis. S’ils respectent le "contrat", ils pourront alors le voir une dernière fois.

Road-movie intimiste à la lisière du fantastique

De cette histoire de deuil à la lisière du fantastique, Guillaume Nicloux tire un pépère mais touchant road-movie en 4X4 climatisé. Sous la chaleur accablante de l’Ouest américain, Gérard Depardieu se balade tout ventre dehors la moitié du temps. La mise à nu y est pourtant totale.

Rarement (tout du moins dans sa filmographie récente), l’acteur ne s’était montré aussi émouvant que dans ce rôle de vieille célébrité esseulée à qui il reste "quelques bons copains" et de père rongé par la culpabilité de n’avoir su se montrer aimant. La résonnance avec les relations que Gérard Depardieu entretenait avec son fils Guillaume (mort en 2008 des suites d’une pneumonie), y est évidente, mais jamais appuyée, toujours pudique.

À côté de la bête, la belle Isabelle Huppert livre une prestation tout aussi attachante de mère croyant dur comme fer pouvoir de nouveau entrer en contact avec son défunt fils. En 1980, Maurice Pialat avait réuni les deux acteurs dans le film "Loulou". Ils n’étaient pas encore tout à fait ces monstres sacrés qu’on connaît. Le duo était à réinventer. "Valley of Love", produit, il n’y a pas de hasard, par Sylvie Pialat, la veuve du cinéaste, le fait en montrant le faux couple dans son côté le plus intimiste. Avec ce que cela comporte aussi de banalité : Gérard et Isabelle partageant la même chambre, chacun sur son lit, lui lisant une revue people, elle s’endormant ; Gérard et Isabelle à table, dissertant sur les hamburgers végétariens et la radioactivité des champignons.

Comme à la maison

"Valley of Love" ne vaut, bien entendu, que pour ses deux comédiens. Sans eux, pas d’intérêt, pas de film. On comprendra, dès lors, que la presse internationale soit restée de marbre face à cet exercice d’introspection franco-français. Ce n’est pas faire offense à Guillaume Nicloux que de considérer ses chances de remporter la Palme d'or comme quasi nulles. Il n’y aurait rien de scandaleux en revanche à ce que Gérard Depardieu et Isabelle Huppert s’adjugent un prix d’interprétation. En ont-ils cependant besoin ?

Cannes leur a déjà beaucoup donné. L’un comme l’autre ont été sacrés sur la Croisette (lui pour son rôle dans "Cyrano de Bergerac" ; elle, par deux fois, pour "Violette Nozière" et "La Pianiste"). Tous deux ont également eu l’honneur de présider le jury cannois. Ils sont ici chez eux, et nul doute qu'ils y reviendront. Avec ou sans les cons.