Selon la policière en charge de l’affaire Kerviel, la Société Générale était au courant des agissements de son trader, affirme Mediapart. Un aveu qui n'entraînera pas nécessairement une révision du procès, comme le souhaite Edwy Plenel.
Le témoignage qui pourrait tout changer. Il ferait même “exploser le dossier Kerviel”, d’après le site Mediapart à l’origine, dimanche 17 mai, de la révélation. Nathalie Le Roy, la commandante de police en charge de l’enquête dans l’affaire Kerviel vs Société Générale, a assuré avoir acquis “la certitude que la hiérarchie [du trader] ne pouvait ignorer les positions prises par ce dernier”. Des décisions qui ont provoqué une perte boursière colossale de près de 5 milliards d’euros en 2008, aux dépens de l'établissement bancaire.
Un aveu recueilli par le juge d’instruction chargé d’une plainte contre X déposé par Jérôme Kerviel pour escroquerie au jugement. Une affaire qui lui a valu, en 2012, une peine de trois ans de prison ferme pour fraude. Mais si ses supérieurs étaient au courant, l’ex-boursicoteur ne peut pas être tenu pour seul responsable de la débâcle. Le rôle de la banque ne devrait-il pas être réexaminé lors d’une révision du procès pénal qui a exonéré la Société Générale de toute faute ?
Le revirement de la policière, mais encore ?
Oui, selon Edwy Plenel, le patron de Mediapart. Dans un éditorial, où il n’hésite pas à invoquer l’affaire Dreyfus, le journaliste souhaite que le témoignage de la policière, qui affirme “courageusement” s’être trompée à l’époque, ne reste pas “dans l’isolement d’un cabinet d’instruction”. L’ex-magistrate et candidate malheureuse des Verts à la présidentielle de 2012, Eva Joly, a également assuré sur Twitter que “l’affaire Kerviel s’est transformée en affaire Société Générale. Le procès doit être révisé”.
Les éléments nouveaux transforment l'affaire #Kerviel en affaire Société Générale. Le procès doit être révisé #JusticeEnMarche @mediapart
— Eva Joly (@EvaJoly) 18 Mai 2015Le récit par Mediapart du témoignage de Nathalie Le Roy démontre, certes, à quel point cette dernière s’est retrouvée confrontée à un monde qu’elle ne maîtrisait pas. Les témoins l’embrouillent avec du jargon bancaire tandis que la Société Générale ignore certaines commissions rogatoires adressées par le juge d’instruction.
Mais pour rouvrir le dossier, il faut plus que des doutes de la commandante de police en charge de l’affaire. “L’intime conviction de la policière importe peu pour une demande de révision du procès, ce n’est pas elle qui est responsable de l’enquête, c’est le juge d’instruction qui ordonne les actes et décide ou non du renvoi devant les tribunaux”, assure à France 24 Charlotte Pienonzek, avocate spécialiste en droit et procédure pénale.
Les états d’âme de la policière importent donc peu, en droit, même si ses conclusions ont dû aider le juge d’instruction à se forger une opinion. Ce qui est juridiquement essentiel pour la suite de la procédure, c’est ce qui n’apparaît pas dans l’article de Mediapart. Les choses seraient, en effet, différentes si la policière avait fourni des éléments nouveaux inconnus du tribunal à l’époque du premier procès. Les révélations du site n’en font pas état, et la Société Générale a beau jeu de s’étonner de ce “scoop” qui n’apporterait rien de neuf.
Plusieurs scénarii pour une révision
Mais Edwy Plenel a assuré, lundi 18 janvier sur le plateau de “La nouvelle édition”, que le procès verbal du témoignage s'étend sur une quarantaine de pages. Donc en cas de nouveaux éléments, la question de la révision du procès se posera avec beaucoup plus d’acuité.
Il y aurait alors plusieurs scénarii, d’après Charlotte Pienonzek. L’avocat de Jérôme Kerviel, qui a accès aux éléments de l’instruction, peut présenter de nouveaux éléments à la Cour de révision pour demander un réexamen de la condamnation pénale.
Il peut aussi laisser le juge d’instruction finir son enquête dans l’espoir qu’il penche en faveur d’une escroquerie au jugement. “Généralement, cela signifie qu’il y a eu dissimulation d’éléments au tribunal”, explique Charlotte Pienonzek. Il serait alors beaucoup plus facile de plaider ensuite pour une révision de la condamnation de Jérôme Kerviel.
Et ce n’est pas seulement la condamnation pénale qui est en jeu. En janvier 2016, la justice doit revenir sur le volet civil de l’affaire. La Cour de cassation a, en effet, annulé la condamnation en appel de Jérôme Kerviel à rembourser 4,9 milliards d’euros à la banque. Si finalement, l’enquête laisse entendre que la hiérarchie de l’ex-trader était au courant des risques fous qu’il prenait en banque, les juges pourraient être amenés, au civil, à estimer que la banque a une part de responsabilité dans l’affaire. Et cela pourrait lui coûter cher.