logo

Centrafrique : la libération des enfants-soldats a débuté

Alors que les groupes armés de Centrafrique se sont entendus pour démobiliser tous les enfants de leurs rangs, plus de 350 d'entre eux ont été libérés le 14 mai. Depuis plusieurs mois "Save the children" recueille des confessions d'enfants-soldats.

"J’ai rejoint la Séléka car ils ont tué mon père." À 15 ans, Grâce à Dieu a été témoin de la fureur des rebelles en Centrafrique, tout juste débarqués dans son village. "Je ne les aimais pas mais je ne voyais pas d’autre option. J’ai pensé que je devais rejoindre le groupe pour pouvoir prendre soin de ma famille, étant donné que je suis l’aîné."

Le témoignage de ce garçon, recueilli par l’ONG "Save the children", reflète la situation ambiguë dans laquelle se sont retrouvés certains enfants en Centrafrique à l’arrivée de groupes armés dans leur village : intégrer les rangs de milices ayant tué ou maltraité un proche, afin de protéger sa famille. Un cas de figure auquel a été directement confrontée Cristal : à 16 ans, elle a rejoint la Séléka après que le groupe a emprisonné son grand-frère. "Si je ne les avais pas rejoints, ils ne l’auraient pas relâché", lâche la jeune fille.

En Centrafrique, on dénombre entre 6 000 et 10 000 mineurs, majoritairement âgés de 14 à 18 ans, enrôlés dans les rangs des combattants, tous groupes armés confondus. Une situation alarmante qui pourrait prendre fin, si l’on en croit les accords du Forum de Bangui. Le 5 mai, les groupes armés se sont en effet solennellement engagés à démobiliser leurs jeunes combattants. Sitôt déclaré, l’Unicef a proposé que ces démobilisations débutent jeudi 14 mai, dans la province de Bambari.

Vengeance et survie

Dans d’autres cas de figures, des enfants, issus de milieux économiquement très misérables, prennent les armes après avoir perdu leurs repères familiaux. "Ils vivent, pour la plupart, dans l’arrière-pays où les conditions de vie ne sont pas bonnes. À partir du moment où leurs parents ne sont plus là, ces enfants sont livrés à eux-mêmes, prennent les armes pour chercher à se nourrir et à se protéger. C’est une réaction de survie", explique Manuela-Géraldine Kobambe, la présidente du tribunal pour enfants de Bangui, à France 24.

C’est le cas de Jules. À 12 ans, ce garçon pas encore adolescent est déjà un ancien soldat. Il y a quelques mois, Jules a quitté sa famille qui était trop pauvre pour subvenir à ses besoins, en compagnie de son grand frère. Direction : Bossangoa, dans le nord-ouest du pays. Dans cette localité située à 300 kilomètres de Bangui, les troupes de la Séléka n’ont pas tardé à arriver, tuant le frère de Jules sur leur passage. Désemparé et fou de colère, le jeune garçon, alors assoiffé de vengeance, rejoint le groupe des anti-balaka, ennemis jurés de la Séléka.

"C’était nous, les enfants, qui étions envoyés en première ligne"

Une fois au sein d’un groupe, un enfant-soldat peut être amené à exercer différents rôles : combattant, cuisinier, porteur. En compensation, il peut recevoir les fruits de certains braquages et autres pillages auxquels se livrent les groupes, indique René Yetamasso, directeur de programme chez Save the children, interrogé par France 24.

"Je me suis battu avec des armes, des couteaux, des machettes, témoigne Jules, d’un air dur du haut de ses 12 ans. On me disait de faire des choses, et je les faisais. Parfois, on me disait d’aller me battre, et quand je rentrais, on me disait de faire la cuisine ou des courses."

>> À lire sur France 24 : Centrafrique : comment l'enquête sur les allégations de viols a commencé

Grâce à Dieu, lui, a suivi un entraînement quasi-militaire : "Tous les matins, on devait faire beaucoup d’exercice physique, on devait par exemple ramper dans de la boue. Ils [les membres de la Séléka] voulaient nous rendre méchants, sans pitié. Quand on partait au combat, c’était nous, les enfants, qui étions envoyés en première ligne." Grâce à Dieu se souvient d’avoir vu des enfants de huit ans enrôlés.

Drogues et esclavage sexuel

Certains enfants-soldats, en majorité des filles, sont également enrôlés comme esclaves sexuels. Mais difficile d’en savoir plus : "L’esclavage sexuel, c’est un sujet tabou, explique René Yetamasso. Les enfants n’en parlent pas, ce sont des choses qui ne se disent pas. Certaines jeunes filles sont aussi victimes de mariages forcés. Très peu d’entre elles sont de toute façon envoyées au front."

Cristal a elle été promue "caporal" au sein de la Séléka. À Bangui, elle était chargée de racketter les automobilistes aux checkpoints. Si la jeune fille clame ne jamais avoir eu peur, certains enfants-soldats déclarent eux avoir eu recours à l’alcool ou à la drogue.

"Les personnes du groupe prenaient beaucoup de drogue, de marijuana… Moi, je n’ai pas pris de drogue mais j’ai bu beaucoup de bière. Parfois, je me saoulais avant d’aller combattre. D’autres fois, je me saoulais après. Dans tous les cas, j’ai bu beaucoup durant cette période", admet Grâce à Dieu, qui explique avoir quitté la Séléka après avoir vu que "la politique commençait à prendre le dessus sur notre combat".

Jules, lui, a été récupéré par sa mère au bout de quelques mois, une fois que celle-ci a retrouvé sa trace : "Maintenant je veux retourner à l’école, je me souviens qu’avant, j’aimais bien les maths, dit-il. Je veux apprendre, travailler."

Cristal a pour sa part "consenti" à quitter la Séléka au bout d’un an. À son père qui venait la ramener à la maison, elle a demandé des garanties financières avant d’accepter de le suivre. Dorénavant, elle a un peu d’argent, "prend soin d’elle" et se trouve "belle".