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Le jury du Goncourt du Premier roman a récompensé mardi l'écrivain algérien Kamel Daoud pour son livre "Meursault, contre enquête". Le romancier est visé par une fatwa en Algérie pour ses propos critiques contre l'islam radical.
Kamel Daoud n’osait plus trop y croire. Et pourtant, l’écrivain algérien a reçu le Goncourt du Premier roman pour "Meursault, contre enquête" (Actes Sud), a annoncé mardi 5 mai le jury littéraire.
Son livre, écrit en miroir du célèbre roman d'Albert Camus "L'Étranger" (1942), suggère une méditation sur l'identité algérienne contemporaine. "Je voulais, j'ai rêvé d'une suite à ‘L'Étranger’ pour parler de ma condition par le biais d'un personnage. Pas pour régler un compte", explique l'auteur de 44 ans, crâne rasé et regard brun profond. "Tous s'attendent à ce qu'on parle de Camus ou de Meursault pour en faire le procès ou pour s'en faire l'avocat".
Et d’ajouter, "je rêve aussi d'être jugé, par les miens, parce que d'une certaine manière, je me sens beaucoup plus proche de Meursault que de sa victime", dit-il.
Le romancier a vu les récompenses se multiplier ces derniers jours. Il a aussi reçu le Prix des cinq continents de la francophonie et le prix François Mauriac.
La langue de la liberté
Il écrit ses livres en français, qui reste pour lui la langue de la liberté. "La langue arabe est piégée par le sacré, par les idéologies dominantes" confiait-il au "Figaro". Ses articles sont régulièrement repris dans la presse hexagonale.
En janvier, après l'attentat contre la rédaction de "Charlie Hebdo", à Paris, l'auteur se déclarait "effondré, cassé, brisé" sur France Culture, ces attentats lui rappelant "les années terribles de la guerre civile en Algérie".
Il tient également depuis une quinzaine d'années la chronique quotidienne la plus lue d'Algérie. Des articles au vitriol publiés chaque jour (sauf le vendredi) dans "Le Quotidien d'Oran".
Critique acerbe d'un régime qui n'en finit pas, il a notamment forgé deux néologismes à partir du nom du président Abdelaziz Bouteflika, "bouteflikiens" ou "bouteflikistes".
"J'ai peur qu'on perde face à ces gens-là"
Pour lui, il y a la censure officielle mais aussi les courriers anonymes des islamistes qui lui reprochent d'être un apostat, passible de la peine de mort selon l'islam.
Un activiste salafiste a appelé en décembre sur les réseaux sociaux les autorités algériennes à le condamner à la peine capitale et à l'exécuter. Une initiative interprétée comme une fatwa dans les milieux politiques et intellectuels algériens même si son auteur n'a ni la légitimité ni l'autorité requises.
Kamel Daoud a déposé plainte fin 2014 contre cet activiste. "J'ai peur qu'on perde face à ces gens-là, j'ai peur qu'ils finissent par gagner" disait-il en dénonçant les auteurs de l'attentat, "qu'ils arrivent à couper le monde en deux, à provoquer des guerres".
Avec AFP