La justice algérienne se penche depuis une semaine sur des dossiers de corruption liés à des grands projets de développement. Un déballage qui, tout en dévoilant l’étendue de la corruption qui gangrène le pays, éclabousse le régime.
Favoritisme, corruption, trafic d’influence, blanchiment d'argent, malversation : l’heure est au grand déballage en Algérie, où la justice se penche sur plusieurs scandales de corruption.
Les dossiers concernés par cette série de procès, impliquant des ministres actuels ou anciens qui restent cependant hors de portée des juges, sont directement liés aux grands projets, notamment d'infrastructures, qui ont été lancés grâce à la manne pétrolière.
Ainsi, la justice algérienne a entamé le 26 avril l'examen de trois importantes affaires ayant privé le Trésor public de plusieurs milliards dollars, redistribués en pots de vin et rétrocommissions. La première concerne le projet pharaonique de l'autoroute est-ouest qui devait s’étendre sur 1 216 km. Lancé en 2006 pour une durée de quatre ans et un budget de six milliards de dollars, le plus important chantier de la présidence Bouteflika n’a toujours pas été bouclé.
Entaché de malfaçons, son coût a bondi à plus de 11 milliards de dollars selon des estimations officielles, ou à 17 milliards selon d'autres sources.
Des ministres mis en cause
Pas moins de seize personnes et sept sociétés étrangères sont poursuivies pour corruption, blanchiment d'argent et dilapidation de deniers publics. Mais le ministre des Transports Amar Ghoul, dont le nom est cité plusieurs fois dans cette affaire, ne s’est pas présenté à la barre en raison de la protection dont bénéficient les membres du gouvernement.
À lui seul, Amar Ghoul, issu d'un parti islamiste, aurait touché un quart des sommes versées en pots de vin – dans le cadre du projet d’autoroute –, a révélé un accusé. En réponse, le ministre a rejeté en bloc ces accusations dans une déposition lue devant le tribunal. Une déposition "qui fait sourire", ironisait samedi le plus important quotidien francophone algérien "El-Watan", qui évoque un procès "bien verrouillé". Le nom de l'ancien ministre de la Justice et des Affaires étrangères Mohamed Bedjaoui, a également été cité au cours du procès qui doit s'achever dimanche.
"Si corruption il y a eu dans ce contrat, elle s'est faite au niveau du gouvernement, pas ailleurs", a assuré Me Tayeb Belarif, l'avocat de l’un des accusés, un consultant ayant la double nationalité algérienne et luxembourgeoise, Chani Medjdoub. Une peine de vingt ans de réclusion a été requise le 1er mai contre celui qui est considéré comme l'accusé principal du procès, suspecté d'avoir reçu 4,89 % du coût global du projet, sous forme de commissions. Pour sa part, Chani Medjdoub a accusé le puissant Département du renseignement et de la sécurité algérien (DRS), de l'avoir torturé pour lui extorquer des aveux sur son rôle de conseiller du groupe chinois Citic (également jugé) auprès des autorités.
Outre l’affaire de l’autoroute,le 4 mai à Blida, s'ouvre à Blida, à 50 km d'Alger, un nouveau procès du groupe de l'ex-magnat Rafik Khalifa, détenu à Alger après avoir été extradé par Londres fin 2013. La faillite de ce groupe qui porte son nom (banque, transport aérien, immobilier, médias, etc.) en 2003 avait causé un préjudice estimé entre 1,5 et 5 milliards de dollars à l’État algérien.
Enfin, le 6 juin, le tribunal criminel d'Alger ouvrira un procès concernant le groupe pétrolier Sonatrach et impliquant les compagnies italiennes Saipem et allemande Funkwerk. Un ancien PDG du groupe, Mohamed Meziane, deux de ses enfants et huit ex-directeurs font partie des 19 accusés. Ils sont poursuivis notamment pour association de malfaiteurs, détournement de deniers publics, blanchiment et corruption dans le cadre de marchés conclus de gré à gré avec des compagnies étrangères.
"Parodie de justice"
Mais d’aucuns en Algérie doutent de l'issue de tels procès à cause de la non-convocation par la justice de ministres et protégés politiques pourtant éclaboussés dans ces affaires. Pour "Le Soir d'Algérie", ils ne sont qu'"une messe des prétoires" organisée pour "la mise en accusation de quelques seconds couteaux". "L'autoroute des pots de vin : où sont passés les grands prédateurs du clan ?", s'interroge le quotidien.
De son côté "El-Watan", assure que "l’impunité assurée aux chefs prédateurs a fini d’achever définitivement la confiance entre une société désenchantée et des dirigeants politiques et économiques disqualifiés". Pour le quotidien, "à la faveur des procès en cours et à venir, c’est le pouvoir en place qui est jugé et condamné, même s’il s’emploie à s’extirper".
Un avis que partage l’opposition. Le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) a dénoncé dans un communiqué une mascarade judiciaire. L’opinion publique ne "peut se satisfaire de déballages sans lendemain et d’une parodie de justice qui s’interdit d’auditionner les responsables hiérarchiques des secteurs concernés", estime-t-il.
Le déballage ne concerne pas que les prétoires. Il se fait aussi dans les couloirs de l'Assemblée nationale où la ministre de la Culture Nadia Labidi est accusée de favoritisme par des élus du Parti des travailleurs (PT). Selon eux, elle a attribué tous les projets du secteur à des amis ou à sa société de production. La ministre a menacé de porter plainte contre la députée du PT Louisa Hanoune, sa principale accusatrice.
Louisa Hanoune a également mis dans le viseur de la justice le ministre de la Santé, Abdelmalek Boudiaf, qu'elle accuse d'avoir attribué un marché d'acquisition d'appareils de radiothérapie à un entrepreneur intervenant dans les travaux publics. Ce dernier, Ali Haddad, est président de la principale organisation patronale et l'un des plus importants financiers de la campagne du président Bouteflika l'année dernière.
Enfin, une enquête est actuellement en cours en Italie, où la société AgustaWestland est soupçonnée d'avoir versé des pots de vin à des responsables algériens pour l'acquisition d'une centaine d’hélicoptères dans le cadre d’un contrat d’armement.
Avec AFP