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Opération Triton : priorité au sauvetage ou au contrôle des frontières ?

Au lendemain d'un nouveau drame de l’immigration maritime, l’opération Triton est mise en cause. Davantage destinée à protéger les frontières qu’à sauver des vies, elle n’a jamais joué le rôle dissuasif que les Européens espéraient.

Dans la nuit du samedi 18 au dimanche 19 avril, un chalutier en provenance de Libye a fait naufrage au large des côtes italiennes. Sept cents personnes sont portées disparues, elles pourraient être 950 selon les dernières estimations.

À la suite de ce drame, l’Union européenne est pointée du doigt pour son incapacité à sauver les vies des migrants qui tentent de rejoindre ses côtes. Deux opérations, Mare Nostrum et Triton, ont pourtant été mises en place ces dernières années pour prévenir les naufrages mortels en Méditerranée.

Lancée par l’Italie fin 2013 à la suite d’un naufrage au large de l’île de Lampedusa qui avait fait 400 victimes, Mare Nostrum avait un but de surveillance et de sauvetage mais ne devait être que provisoire. Laurens Jolles, chef du bureau du Haut commissariat aux réfugiés de l’ONU pour la zone Méditerranée, rappelle que l’Italie avait lancé l’opération "en attendant la création [au niveau européen, NDLR] d’une grande capacité de sauvetage en Méditerranée".

150 000 personnes secourues en un an

En un an, Mare Nostrum a permis de secourir plus de 150 000 personnes, soit plus de 400 par jour en moyenne, et d'arrêter 351 passeurs, grâce à un important déploiement de forces navales et aériennes qui coûtait à Rome environ 9 millions d'euros par mois. Un coût qui a expliqué son arrêt en octobre 2014.

Le 1er novembre, l’Union européenne a présenté le lancement de l’opération Triton, confiée à Frontex (l’agence européenne de surveillance des frontières) et supervisée par les autorités italiennes pour d’un budget mensuel d’environ 3 millions d’euros, comme la continuité de Mare Nostrum. Une continuité uniquement théorique car les deux opérations n’ont pas le même but.

Alors que, dans le cadre de Mare Nostrum, la marine italienne allait parfois secourir des bateaux jusqu’aux abords des côtes libyennes, la mission de Frontex consiste à protéger les frontières européennes. L’agence de surveillance des frontières de l’UE ne peut sortir des eaux territoriales européennes.

"[Triton] a bien sûr la responsabilité de la loi de la mer de contribuer à des sauvetages si nécessaire mais ce n’est pas son but principal et, de toute façon, ses ressources sont insuffisantes pour mener à bien cette mission", précise Laurens Jolles.

Nouvelles possibilités d’émigration légale

Face à une immigration en provenance d’Afrique du Nord qui risque de s’accentuer avec l’arrivée des beaux jours, Catherine de Wenden, directrice de recherche au CNRS et spécialiste des migrations internationales, appelle à une politique migratoire européenne "moins frileuse" sur le droit d’asile et les visas : "Il faut permettre à plus de gens de circuler légalement."

Laurent Jolles réclame, lui aussi, la mise en place d’alternatives légales pour permettre aux migrants de venir en Europe. Pour le chef du HCR Méditerranée : "Le sauvetage en mer n’est pas la solution à l’immigration clandestine, ce n’est qu’une partie de la stratégie."

Gil Arias, directeur adjoint de l’agence Frontex, a lui-même envisagé lundi 20 avril une telle issue. "Ce qui aiderait […] c'est d'ouvrir de nouvelles possibilités d'émigration légale surtout pour les personnes fuyant les guerres", a-t-il déclaré à la radio espagnole Cadena Ser.

Résolution diplomatique

Autre solution souvent invoquée pour faire face à la crise migratoire : mettre un terme aux troubles qui poussent les migrants à fuir leurs pays. Pour Laurent Jolles, une résolution diplomatique est difficilement envisageable dans des pays où même les ONG peinent à agir. C’est le cas du HCR en Libye

"La situation pour les réfugiés en Libye est aujourd’hui une situation de très grande vulnérabilité mais nous n’avons pas d’interlocuteur dans le pays. On ne nous laisse que très peu d’espace pour agir", met-il en garde.

Catherine de Wenden, elle, évoque plutôt "un système de protection temporaire régional pour ceux qui sont tentés de partir". Selon la chercheuse, celui-ci pourrait prendre la forme d’une intervention militaire des pays voisins dans les États en crise dans le but de protéger les populations.

Difficile de compter sur ces solutions à long terme pour remédier rapidement aux drames quotidiens qui se déroulent en Méditerranée. Difficile aussi d’imaginer qu’une réponse immédiate sortira du Sommet européen extraordinaire prévu jeudi. L’urgence semble surtout résider dans la coopération des États de l’UE pour prendre en charge ces migrants.