
Tania Bruguera est retenue sur son île natale de Cuba depuis près de trois mois. De nombreuses voix s'élèvent pour exiger qu'elle retrouve sa liberté de mouvement, notamment en France où elle enseigne et doit prochainement réaliser une performance.
Son nom est inscrit dans le programme du festival Do Disturb que le Palais de Tokyo, à Paris, accueillera dans une quinzaine de jours. Une performance de Tania Bruguera, artiste plasticienne née voilà 46 ans à La Havane, est prévue dans le cadre de cette manifestation culturelle qui "vise à provoquer la surprise et à décloisonner les disciplines artistiques en repoussant leurs limites, au croisement de la danse, de la musique, de la vidéo et de la performance". Mais les organisateurs savent que Tania Bruguera risque de ne pas participer à ce festival. Car elle est retenue depuis le 30 décembre 2014 sur son île natale de Cuba, les autorités cubaines lui ayant confisqué son passeport.
Jean de Loisy, président du Palais de Tokyo, n’a pas caché sa préoccupation à l’occasion de la présentation officielle du festival, le 23 mars. Il a insisté sur l’importance du travail de cette "artiste qui réveille les consciences" et a défendu son droit de pouvoir voyager librement dans le monde entier pour diffuser son message. "Nous sommes inquiets et nous voulons que cette artiste (...) puisse rentrer chez elle", a expliqué Jean de Loisy.
C'est une performance prévue en plein cœur de La Havane qui a sucité l’ire des autorités cubaines. Tania Bruguera s’était faite la porte-parole de la plate-forme YoTambienExijo (J’exige moi aussi), très active sur Twitter et Facebook, qui avait choisi d’inviter les citoyens à venir s’exprimer librement pendant 60 secondes, le 30 décembre, devant un micro. Il devait être installé dans un lieu très symbolique de la capitale cubaine, la place de la Révolution, sur laquelle Fidel et Raul Castro ont maintes fois eu l’occasion de discourir.
Cette performance avait pour objectif de tester la politique d'ouverture du régime cubain, une quinzaine de jours après l'annonce d'un rapprochement historique entre La Havane et Washington. Mais cette manifestation, non autorisée par les autorités locales, n’a finalement pas eu lieu. Et Tania Bruguera a été arrêtée trois fois au cours de cette même journée du 30 décembre.
Enseignante à Paris
Rapidement relâchée, l'artiste, qui vit entre les États-Unis et l’Europe, a été privée de son passeport par les autorités cubaines. Elles l’accusent notamment de "troubles à l’ordre public" et d’avoir résisté aux autorités. Mais aucune condamnation n’a été prononcée à ce jour. Et depuis près de trois mois, Tania Bruguera vit dans un appartement situé dans le quartier d’El Vedado à La Havane, en poursuivant son combat pour obtenir le droit de s’exprimer. La page Facebook YoTambienExijo propose ainsi une lettre qu’elle a envoyée début janvier au vice-ministre cubain de la Culture pour rendre une récompense qui lui avait été remise en 2002 et rappeler son engagement en faveur de liberté d’expression à Cuba.
Si elle bénéficie d’importants relais de communication en dehors de l’île, Tania Bruguera ne semble cependant pas avoir accès à une connexion Internet, une ressource très limitée à Cuba. "J'ai essayé de la contacter à plusieurs reprises, mais en vain", explique ainsi Jean-Luc Vilmouth, directeur des études de l’École des Beaux-Arts de Paris. Tania Bruguera y est enseignante et devrait actuellement donner des cours dans cet établissement. Mais ni la direction des Beaux-Arts, ni les étudiants ne savent quand ils la reverront. "Nous savons juste qu’elle vit sous surveillance et qu’elle ne peut pas voyager", explique Jean-Luc Vilmouth.
La situation dans laquelle elle se trouve suscite une importante mobilisation au sein de la communauté artistique française et internationale. Et plusieurs artistes conviés à la prochaine Biennale artistique de La Havane, qui doit débuter le 22 mai, ont déjà annoncé qu’ils ne se rendraient pas à Cuba pour protester contre la situation dans laquelle se trouve l'artiste cubaine. Cette Biennale, à laquelle est notamment invité le Français Daniel Buren, risque bien de devenir une caisse de résonnance de l’affaire Bruguera si l’artiste est toujours retenue sur l'île.