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Chasser Boko Haram en un mois : Goodluck Jonathan réaliste ou électoraliste ?

Le président nigérian Goodluck Jonathan, candidat à l’élection présidentielle prévue dans une semaine, espère reprendre tous les territoires contrôlés par Boko Haram en un mois. Une déclaration prématurée, pour certains analystes.

À une semaine de l’élection présidentielle au Nigeria, Goodluck Jonathan veut marquer les esprits. "Je suis optimiste : j’espère que nous n’aurons pas besoin de plus d’un mois pour recouvrer l’intégrité du territoire des mains de Boko Haram" a-t-il déclaré lors d’une interview à la BBC diffusée vendredi 20 mars.

Le temps est également au mea culpa. Le président Jonathan reconnaît avoir sous-estimé la menace que pouvait constituer la secte islamiste Boko Haram qui a fait au moins 13 000 morts en six ans. "Au début [2009], on n’aurait jamais pensé qu’ils atteindraient une telle force de frappe et qu’ils seraient capables d’aller attaquer d’autres pays [le Cameroun, le Niger et le Tchad, NDLR]. Nos troupes manquaient de moyens", a reconnu le chef de l'État sortant et candidat à sa réélection. 

Des victoires militaires nigérianes relatives

Goodluck Jonathan a souvent été critiqué pour sa mollesse face à Boko Haram, notamment par son principal rival à la présidentielle, l'ancien général Muhammadu Buhari. Mais les récents succès militaires de l’armée nigériane parlent pour l’actuel président. L’opération lancée en février avec le soutien du Tchad, du Cameroun et du Niger voisins a permis de chasser les islamistes de deux des trois États où ils étaient présents dans le nord-est : Yobe et Adamawa.

"Ces informations restent cependant invérifiables de sources indépendantes, les communiqués émanant essentiellement de l’armée nigériane", tempère Mark Schroeder, vice-président de l’agence Stratfor, spécialiste de l’Afrique. Et les victoires sont fragiles, en témoigne la découverte vendredi 20 mars de 70 corps, la plupart décapités, dans la ville de Damasak, dans le nord du Nigeria.

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Découverte macabre à Damasak, dans le nord du Nigeria

"Purement électoraliste"

Les propos de Goodluck Jonathan sont-ils réalistes ? "Pas du tout", tranche Samuel Nguembock, chercheur associé à l’Iris. "L’échéance d’un mois permettra à l’armée nigériane d’intensifier ses actions dans les jours à venir, et à Jonathan de gagner en popularité. Cela me semble purement électoraliste", estime-t il.

La pratique montre que même avec des victoires sur le terrain, les groupes islamistes ont des capacités de nuisance qui dépasse le spectre militaire. "On peut ici comparer Boko Haram aux Shebab : malgré leur affaiblissement militaire en Somalie, ceux-ci sont encore capable de mener des attaques sporadiques au Kenya car ils ont réussi à infiltrer la population", poursuit Samuel Nguembock. Et d'affirmer que "toute victoire contre Boko Haram ne saurait être que temporaire".

>> À lire sur France 24 : Que signifie l'allégeance de Boko Haram à l'État islamique ?

Des propos qui rejoignent ceux de Goodluck Jonathan qui a reconnu dans la même interview à la BBC qu’une victoire totale serait très complexe, du fait de nombreux membres de Boko Haram qui pourraient "se fondre dans la population civile" à l’issue des combats. Selon le président, l'objectif serait maintenant de reprendre le contrôle de l'État de Borno (en orange sur la carte ci-dessous), fief historique de Boko Haram.

"Un problème de coordination entre le Nigeria et ses voisins"

Autre obstacle majeur pour le Nigeria, la coordination avec les autres puissances militaires, le Tchad, le Cameroun et le Niger, qui luttent contre Boko Haram sur son territoire. Le meilleur exemple a eu lieu dans la ville de Gamboru, mercredi 18 mars, où une nouvelle attaque de la secte islamiste a fait au moins 11 morts. La ville avait pourtant été libérée par l’armée tchadienne en février, mais les troupes de N’Djamena s’étaient retirées sans être remplacées par des soldats nigérians, selon des habitants.

"Il y a en ce moment un leadership militaire du Tchad dans la région qui n’est pas vu d’un bon œil du côté de l’armée nigériane", poursuit Samuel Nguembock qui évoque des rivalités régionales entre le Tchad, le Cameroun et le Niger, pays francophones, et le Nigeria, pays anglophone.

L’armée du Nigeria a subi ces derniers mois une profonde restructuration, avec la livraison et le déploiement de nouveaux équipements militaires, bien plus adaptés à des opérations de contre-insurrection. Le pays, qui n’a plus connu de conflit de grande ampleur depuis la guerre du Biafra entre 1967 et 1970, n’avait pas pour habitude de collaborer militairement avec ses pays voisins.

Seule une occupation de longue durée sur les territoires contrôlés par Boko Haram pourraient permettre d’éradiquer l’influence du groupe islamiste, "une situation face à laquelle l’armée nigériane n’est structurellement pas préparée", affirme le chercheur de l’IRIS.