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envoyée spéciale à Tunis – Tunis est en deuil après l'attaque mercredi du musée du Bardo, qui a fait 21 morts et 47 blessés. À peine sortie de ce qui semble être un cauchemar, la société civile commence à réagir. Reportage.
Les traces de sang n’ont pas encore disparu au Bardo. On peut deviner la trajectoire des corps, traînés sur le sol devant le musée national de Tunis. Des morceaux de vitres explosées craquent sous les pieds. Devant l’entrée principale, les dalles éventrées témoignent de l’assaut policier.
Au lendemain de l’attaque qui a fait, selon le dernier bilan, 21 morts et près d'une cinquantaine de blessés, Tunis donne l’étrange impression de ne pas être passé dans le "jour d’après". Le moment n’est ni à la polémique, ni même à la colère. Même les larmes ont du mal à couler. L’odeur de la mort est encore trop présente.
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Entre traces de sang et impact de balles
"La Tunisie est en deuil. Le musée du Bardo est le symbole de notre culture millénaire. Certains expriment des doutes sur la sécurité mais ce n’est pas le moment", déclare, solennel, Kamel Jendoubi, ministre chargé des Relations avec les institutions constitutionnelles et la société civile, lors d’une conférence de presse, donnée en milieu de journée au Bardo.
Le musée, premier site touristique de Tunisie avant Carthage, a pris un air de chantier triste. Les chaises sont renversées. Une chaussure esseulée gît dans un coin, au milieu des mégots. Seule la mosaïque du triomphe de Neptune qui surplombe le hall, imposante et millénaire, est debout. "Le patrimoine n’a pas été impacté", assure Kamel Jendoubi, précisant que le musée devrait rouvrir ses portes mardi prochain, le 24 mars.
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Ce n’est pas ce qui préoccupe la police scientifique qui s’affaire à relever les empreintes dans les allées labyrinthiques du musée, gardées par des policiers en armes. Ici, une trace de sang. Là un impact de balles. L’enquête suit son cours. Selon les dernières informations, les deux assaillants visaient spécifiquement le musée et les touristes.
Ils ont d’abord ouvert le feu sur les bus stationnés sur le parking. Des touristes ont été tués sur le coup, d’autres blessés, les derniers emmenés en otages dans le musée. De sources concordantes, les deux assaillants en voulaient aux étrangers, criant, en tunisien, au personnel du musée, de "baisser la tête". Aucun impact de balles n’a d’ailleurs pu être constaté sur les guichets, à proximité de l’entrée. Ni sur les parois vitrées de la librairie.
Les cas critiques toujours en réanimation
Le dernier bilan de la tuerie laisse en effet peu de doute sur les cibles des terroristes. Sur les 21 morts, il y a 20 touristes et un Tunisien, selon l'AFP. Parmi les dizaines de blessés, de nombreux touristes également, de nationalité française, belge, polonaise, japonaise, ou encore italienne et espagnole.
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Les 11 cas les plus graves - parmi lesquels huit femmes - ont été transportés à l’hôpital Charles Nicolle pour y être opérés d’urgence à la suite de blessures par balles. Neuf sont sortis d’affaire, mais deux étaient toujours, jeudi après-midi, dans un état critique.
Parmi eux, une Française d’environ 80 ans, toujours en réanimation. "Elle souffre de plaies abdominales et d’une fracture ouverte à la jambe. Elle a beaucoup saigné et son état de conscience est instable", diagnostique le Dr Ziad Becadhi, chirurgien orthopédique. Elle a été blessée dans le bus où elle se trouvait avec sa fille, qui ne souffre que de "lésions superficielles". Cette dernière a refusé de nous parler, "très affectée par l’état de sa mère et encore sous le choc", selon le Dr Becadhi.
Lui non plus n’est pas passé dans le jour d’après. Cela fait 24 heures qu’il est de garde, dont quasiment la moitié passée au bloc. Pourtant, il est toujours là, la voix douce et le sourire aux lèvres, passant de chambre en chambre pour vérifier l’état de ses patients.
Une mobilisation réduite
Le choc est aussi perceptible parmi la foule qui s’est réunie devant le Bardo, jeudi après-midi, pour dénoncer le terrorisme. Des bougies brûlent en hommage aux victimes, le drapeau rouge et blanc de la Tunisie flotte dans l’air tiède et les manifestants entonnent avec ferveur l’hymne national.
"J’aime mon pays et cela ne nous ressemble pas", confie Amel Jeddi. Cette femme de 49 ans a perdu son mari policier, tué à Sousse en 2011 "par des terroristes". "Je suis la femme d’un martyre. Quand allons-nous arrêter cela ?", demande-t-elle en brandissant le portrait de son défunt. À côté d’elle, trois jeunes hommes agitent une pancarte "Je suis Charlie, Je suis la Tunisie".
La comparaison est évidente. La violence est semblable. La mobilisation reste, elle, encore circonscrite et seules 300 à 400 personnes se sont rassemblées pour répondre à l’appel de l’UGTT, le plus grand syndicat du pays, des mouvements estudiantins et des ONG de défense des droits de l’Homme.
"Tout le monde est sonné"
"Tout le monde est encore un peu sonné", explique Zied Boussen, chargé de plaidoyer pour Al Bawsala, une association qui veille à la transparence des institutions et siège dans le Parlement. Zied était en commission mercredi lorsqu’il a été évacué en quatrième vitesse alors que l’attaque battait son plein à quelques mètres.
À peine remis de la tuerie de la veille, il a décidé de reprendre le travail jeudi, à l’instar de ses collègues. "Matériellement tout était à sa place, mais psychologiquement c’était dur. Nous avons quand même voulu reprendre les travaux parlementaires vite pour ne pas donner l’impression que les terroristes avaient gagné", témoigne-il.
Le deuil ne fait que commencer. Mais tous ont à cœur de montrer à quel point la Tunisie est vivante et prête à se battre pour défendre le modèle démocrate qu’elle s’est évertuée à devenir ces quatre dernières années. De nouvelles manifestations sont prévues dans les jours à venir.