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Réparations de guerre : Athènes menace de geler des avoirs allemands

Le ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, a fait référence, jeudi sur France 24, aux indemnités que l'Allemagne devrait à la Grèce à cause de l'occupation nazie. La veille, le ministre de la Justice avait menacé de saisir des biens allemands.

"Quand je visite un pays du nord de l'Europe, on me demande souvent : 'Quand allez vous rembourser votre dette ?' Une dette, ça reste une dette. Si c'est vrai [pour la Grèce], alors ce doit l'être pour tout le monde." Interrogé, jeudi 12 mars, sur France 24, le ministre grec des Finances Yanis Varoufakis ne cite pas nommément l'Allemagne. Mais c'est bien la locomotive économique européenne qu’il vise.

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"Une dette est une dette"

Depuis la veille, la polémique autour des réparations de guerre, que l'Allemagne serait censée verser à la Grèce pour les exactions commises pendant la Seconde Guerre mondiale, est revenue sur le devant de la scène. Le patron de finances grecques a beau verser dans le langage diplomatique, il remet un peu d'huile sur le feu.

La Cour suprême pour la confiscation

C'est le ministre grec de la Justice, Nikos Paraskevopoulos, qui a tiré la première salve. Il s'est dit prêt, mercredi 11 mars, à autoriser la saisie de biens allemands en guise de réparation pour les exactions nazies en Grèce. Cette démarche aurait même un fondement judiciaire : la Cour suprême grecque avait jugé légale, il y a quinze ans, la possibilité de confisquer des avoirs allemands afin de les reverser aux descendants des victimes du massacre de Distomo, un village dans l'ouest de la Grèce, en 1944.

Pour faire appliquer ce jugement, un ministre grec de la Justice doit l'approuver. Les prédécesseurs de Nikos Paraskevopoulos s'y sont tous refusé afin de soigner leurs relations avec Berlin. Mais avec la victoire du parti de gauche radicale Syriza lors des législatives du 25 janvier, la donne a changé.

Alexis Tsipras, le Premier ministre, a même montré l’exemple. Peu après sa nomination à la tête du gouvernement, il s’était recueilli devant un monument à la mémoire des résistants au nazisme. "Après 1945, l'Allemagne fédérale n'a pas payé de réparation d'État à État, contrairement à ce qui s’était passé à l'issue de la Première Guerre mondiale", rappelle à France 24 l'historien Jean-Marc Dreyfus.

"Famine et Oradour-sur-Glane en masse"

Ce spécialiste de la Seconde Guerre mondiale souligne que la Grèce a payé un lourd tribut à la guerre. Le IIIe Reich "a volontairement provoqué une famine en Grèce en faisant main basse sur ses stocks agricoles et il y a eu une répression de la résistance très dure avec des Oradour-sur-Glane en masse", souligne-t-il, en référence au village français où des civils ont été massacrés par l’armée allemande.

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"Le montant est impossible à chiffrer"
Réparations de guerre : Athènes menace de geler des avoirs allemands

Le ressentiment des Grecs à l'égard de l'Allemagne, qui a perduré depuis plus d'un demi-siècle, a été exacerbé par l'austérité économique imposée à Athènes depuis 2010 et perçue comme un "diktat" germanique. Mais Berlin a pu espérer que, passée l’euphorie de la victoire électorale, cette question des réparations de guerre passerait au deuxième plan. Depuis fin janvier, la polémique n'était, d’ailleurs, pas revenue sur le tapis.

Mais la sortie du ministre de la Justice et les déclarations de Yanis Varoufakis démontrent qu'Athènes compte bien se servir de ce thème politiquement porteur. L'Allemagne, de son côté, n'a aucune intention de se laisser faire. Il s’agirait d'une manœuvre de diversion, selon un porte-parole du ministère allemand des Finances.

Berlin estime que la priorité est le problème actuel de la dette grecque et non pas "la question des réparations et indemnités qui a été juridiquement et politiquement réglée", a déclaré à Berlin Steffen Seibert, le porte-parole de la chancelière allemande Angela Merkel. Il fait référence à un accord du 18 mars 1959 : l'Allemagne fédérale avait accepté de payer 115 millions de Deutsche Mark à la Grèce pour indemniser les descendants des résistants grecs et les victimes de l’occupation nazie.

Montant "impossible à chiffrer"

Problème : cette somme a été payée "à l’État grec, à charge pour lui de le reverser directement aux victimes. C'est-à-dire que ce sont des individus qui ont été indemnisés et il n'y a donc pas eu des réparations d’État à État", explique Jean-Marc Dreyfus. C’est sur cette nuance que joue l'actuel gouvernement grec.

Mais combien d'argent Athènes voudrait-il ainsi récupérer ? "Il est impossible de chiffrer le montant des réparations, et il faudrait d'abord se mettre d'accord sur ce qui doit être indemnisé", affirme Jean-Marc Dreyfus. L'Allemagne devrait-elle rembourser les effets de la famine, des destructions ou encore des spoliations ?

Sur France 24, Yanis Varoufakis semble penser qu'il n’est pas forcément nécessaire de se lancer dans une bataille de chiffres. Il est toujours possible "de décider [ensemble] d'oublier certaines dettes et d'en restructurer d’autres", suggère-t-il. Une manière de dire qu'Athènes est prêt à tirer un trait sur cette vieille histoire, si Berlin se montrer plus conciliant sur les conditions de remboursement de la dette grecque.

>>> À voir sur France 24 : "Varoufakis : 'Le gouvernement grec est assez héroïque'"