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Héraut du grand cinéma d’auteur américain, Paul Thomas Anderson s’offre une plongée dans l’Amérique paranoïaque des sixties. Tiré du roman du très secret écrivain Thomas Pynchon, "Inherent Vice" souffre de trop d’hermétisme pour convaincre.

Chaque mardi, France 24 se penche sur deux films qui sortent dans les salles françaises. Cette semaine, l’insondable polar enfumé au chanvre indien "Inherent Vice" de "l’auteur-réalisateur" américain Paul Thomas Anderson et "L’Art de la fugue", chronique masculine sans relief du Français Brice Cauvin.

Paul Thomas Anderson et Thomas Pynchon devaient bien finir par se rencontrer. Ancien enfant terrible d'Hollywood, le premier a remporté ses galons "d’auteur-réalisateur" au fil d’ambitieuses fresques sur l’Amérique des marges (le porno dans "Boogie Nights", l’Église pseudo-évangéliste dans "There will be blood", la scientologie dans "The Master"). Grand écrivain américain contemporain cultivant le secret et refusant toute apparition publique, le second a construit une partie de sa foisonnante œuvre autour des mouvements alternatifs, des sociétés occultes et des communautés portées sur les intrigues.

C’est donc "Inherent Vice" qui aura servi de lieu de rendez-vous aux deux créateurs. Publié en 2009 sous le nom de "Vice caché" dans son édition française, le roman de Thomas Pynchon semble avoir été écrit pour Paul Thomas Anderson tant il recouvre un grand nombre des thèmes de prédilection du réalisateur. L’histoire est en tous cas aussi tortueuse qu’une conversation de complotistes sous LSD.

Flegmatique détective carburant au chanvre indien, "Doc" Sportello (Joaquin Phoenix) est chargé par son ancienne petite amie (Katherine Waterston) d’approcher un richissime promoteur immobilier que l’infidèle épouse envisagerait d’envoyer en hôpital psychiatrique. L’enquête, d’une apparente simplicité, s’avère un véritable sac de nœuds renfermant une galerie d’iconoclastes personnages dignes des frères Coen : un flic farouchement anti-hippie, un ancien saxophoniste infiltré chez des trafiquants, une fraternité aryenne, un syndicat de dentistes reconvertis dans le commerce de cocaïne… Le tout servi par un casting quatre étoiles (Josh Brolin, Benicio del Toro, Owen Wilson, Reese Witherspoon, etc.)

"The Big Lebowski" à la sauce opiacée

La trame d’"Inherent Vice", on le découvrira bien assez vite, est bien trop alambiquée pour ne pas être qu’un prétexte à portraiturer l’Amérique paranoïaque des années 1960-1970. Époque où dans ces États-Unis, traumatisés par l'assassinat de J. F. Kennedy, la guerre du Vietnam et les meurtres de Charles Manson, les antagonismes entre les mouvements contestataires et les autorités n'ont jamais semblé aussi prononcées. Alors que chacun, finalement, se nourrissait au même sein conspirationniste.

Connaissant Paul Thomas Anderson, l’entreprise aurait pu être doctorale, elle est au contraire menée avec une légèreté à laquelle le cinéaste ne nous avait pas habitués. Loin de la gravité de ses précédents longs métrages, il signe ici une œuvre décontractée, une espèce de "The Big Lebowski" à la sauce opiacée, un "Grand Sommeil" repeint aux couleurs du "Flower Power".

Reste que cette œuvre-somme - deux heures et demie, quand même - n’a pas la même constance qu’une fantaisie des frères Coen ou qu’un film noir de l’âge d’or hollywoodien. Les moments de grâces visuelles et les pastilles humoristiques ne parviennent pas toujours à en faire oublier ses longueurs. Aussi jubilatoire qu’agaçant, "Inherent Vice" confine plus souvent qu’à son tour à la fête hippie durant laquelle la drogue n’aurait pas été distribuée de manière suffisamment équitable pour que tout le monde puisse y trouver son compte.


-"Inherent Vice", de Paul Thomas Anderson, avec Joaquin Phoenix, Katherine Waterstone, Josh Brolin, Owen Wilson, Reese Witherspoon… (2h29).