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Sénégal : pour Wade, Sall est un "descendant d'esclaves"

Les déclarations peu amènes de l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade à l’égard de son successeur Macky Sall, qu’il a qualifié de "descendant d’esclaves", suscite un tollé auprès de l’opinion et la classe politique sénégalaise.

Insultant, offensant, injurieux. La classe politique sénégalaise n’a pas de mot assez dur pour condamner les récents propos tenus par l’ancien président Abdoulaye Wade à l’égard de son successeur Macky Sall. Coutumier des déclarations à l’emporte-pièce, "Gorgi" ("le vieux", en wolof) a franchi un cap, mardi 24 février, en qualifiant devant la presse l’actuel chef de l’État de "descendant d’esclaves" dont les parents "étaient anthropophages, qui mangeaient des bébés".

L’affaire fait d’autant plus de bruit au Sénégal que la sortie peu amicale de l’ex-président, aujourd’hui âgé de 88 ans, a été enregistrée sur une vidéo qui fait le tour du Web. On y voit Abdoulaye Wade, encouragé par les rires de l’assistance, vitupérer contre celui qui, selon lui, est à l’origine des ennuis judiciaires de son fils Karim, dont le procès pour "enrichissement illégal" vient de s’achever. "Vous pouvez accepter, vous, les Sénégalais, qu'il soit au-dessus de vous, mais moi, jamais je n'accepterai que Macky Sall soit au-dessus de moi. Jamais mon fils Karim n'acceptera que Macky Sall soit au-dessus de lui", lance-t-il. Et d’ajouter en wolof, selon le site Seneweb : "On serait dans d'autres situations, je l'aurais vendu en tant qu'esclave".

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Il n’en fallait pas plus pour que la vidéo fasse l’effet d’une bombe. Depuis sa diffusion, responsables politiques et de la société civile multiplient les réactions. Dans les rangs de l’opposition, tout d’abord, on dénonce des propos "malsains" qui ne font pas honneur à leur pays. "En traitant son successeur à la présidence de la République de cannibale et d’esclave, Abdoulaye Wade vient de piétiner la dignité et les droits fondamentaux des femmes et des hommes qui se sont toujours sacrifiés pour que son fils et sa famille deviennent ce qu’ils sont", a ainsi déclaré Pape Malick Diop, de l’Alliance pour la république (APR), le parti présidentiel.

"Mégalomanie"

Même son de cloche chez Aminata Touré, ex-Première ministre de Macky Sall. "C'est hélas l'image de notre pays qui s'en trouve écornée, a-t-elle affirmé au site Koaci.com. Une telle violence verbale de la part de l'ancien premier magistrat du pays est tout simplement aux antipodes de ce que notre culture et religion nous enseignent dès le bas âge." Encore plus virulent, Youssou N’Dour, star internationale de la chanson et ministre-conseiller de l’actuel chef de l’État, n’a pas manqué de pointer la "mégalomanie" et l’"irresponsabilité politique" d’Abdoulaye Wade.

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Du côté des partisans de l'ex-président, les propos de ce dernier suscitent une certaine gêne. Bien que la ligne officielle du Parti démocratique sénégalais (PDS), dont il est le fondateur, soit de pointer la responsabilité de Macky Sall dans ce climat délétère, quelques voix ont publiquement condamné ces déclarations. "Quelle que soit la situation, nous n'avons pas le droit de descendre à un certain niveau. Le Sénégal a une culture qui lui est propre. Certains propos sont inacceptables", a affirmé l’ancien porte-parole de la présidence Wade, Serigne Mbacké.

Le principal intéressé n’a quant à lui toujours pas officiellement réagi. Pressé par plusieurs membres de son gouvernement de lancer des procédures judiciaires contre son prédécesseur, le président exclut toute poursuite. "Laissez-le parler", aurait déclaré Macky Sall, selon le quotidien sénégalais "Libération". Peut-être craint-il qu’une convocation de la justice n’offre une nouvelle occasion à l’ancien président de faire parler de lui. "Abdoulaye Wade est un animal politique", souligne à RFI l’analyste politique Babacar Justin Ndiaye, qui voit dans ce dérapage une stratégie politique. "Du dialogue, il est désormais passé à la confrontation."